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LA PRINCESSE DE BABYLONE.

que le roi fût éveillé. Elles quittèrent alors leur déguisement, qui eût pu donner des soupçons. Elles frétèrent au plus vite un vaisseau qui les porta, par le détroit d’Ormus, au beau rivage d’Éden, dans l’Arabie Heureuse. C’est cet Éden dont les jardins furent si renommés qu’on en fit depuis la demeure des justes ; ils furent le modèle des champs Élysées, des jardins des Hespérides, et de ceux des îles Fortunées : car, dans ces climats chauds, les hommes n’imaginèrent point de plus grande béatitude que les ombrages et les murmures des eaux. Vivre éternellement dans les cieux avec l’Être suprême, ou aller se promener dans le jardin, dans le paradis, fut la même chose pour les hommes, qui parlent toujours sans s’entendre, et qui n’ont pu guère avoir encore d’idées nettes ni d’expressions justes.


CHAPITRE IX.

FORMOSANTE RESSUSCITE L’OISEAU MERVEILLEUX, ET RECONNAÎT LE PHÉNIX. ELLE PART POUR LE PAYS DES GANGARIDES DANS UN CANAPÉ. MANIÈRE AUSSI COMMODE QUE RAPIDE DONT ELLE VOYAGE.


Dès que la princesse se vit dans cette terre, son premier soin fut de rendre à son cher oiseau les honneurs funèbres qu’il avait exigés d’elle. Ses belles mains dressèrent un petit bûcher de girofle et de cannelle. Quelle fut sa surprise lorsqu’ayant répandu les cendres de l’oiseau sur ce bûcher, elle le vit s’enflammer de lui-même ! Tout fut bientôt consumé. Il ne parut, à la place des cendres, qu’un gros œuf dont elle vit sortir son oiseau plus brillant qu’il ne l’avait jamais été. Ce fut le plus beau des moments que la princesse eût éprouvés dans toute sa vie ; il n’y en avait qu’un qui pût lui être plus cher : elle le désirait, mais elle ne l’espérait pas.

« Je vois bien, dit-elle à l’oiseau, que vous êtes le phénix dont on m’avait tant parlé. Je suis prête à mourir d’étonnement et de joie. Je ne croyais point à la résurrection ; mais mon bonheur m’en a convaincue.

— La résurrection, madame, lui dit le phénix, est la chose du monde la plus simple. Il n’est pas plus surprenant de naître deux fois qu’une. Tout est résurrection dans ce monde ; les chenilles ressuscitent en papillons ; un noyau mis en terre ressuscite en arbre ; tous les animaux ensevelis dans la terre ressuscitent en herbes, en plantes, et nourrissent d’autres animaux dont ils font