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un certain ordre dans de certaines circonstances ; en un mot, j’ai un besoin pressant de mon apothicaire, et j’espère que vous ne me refuserez pas cette légère marque d’amour.

— Mademoiselle, lui répondit le roi d’Égypte, quoiqu’un apothicaire ait des vues précisément opposées aux miennes, et que les objets de son art soient le contraire de ceux du mien, je sais trop bien vivre pour vous refuser une demande si juste : je vais ordonner qu’il vienne vous parler en attendant le souper, je conçois que vous devez être un peu fatiguée du voyage ; vous devez aussi avoir besoin d’une femme de chambre, vous pourrez faire venir celle qui vous agréera davantage ; j’attendrai ensuite vos ordres et votre commodité. »

Il se retira ; l’apothicaire et la femme de chambre nommée Irla arrivèrent. La princesse avait en elle une entière confiance ; elle lui ordonna de faire apporter six bouteilles de vin de Chiras pour le souper, et d’en faire boire de pareil à toutes les sentinelles qui tenaient ses officiers aux arrêts ; puis elle recommanda à l’apothicaire de faire mettre dans toutes les bouteilles certaines drogues de sa pharmacie qui faisaient dormir les gens vingt-quatre heures, et dont il était toujours pourvu. Elle fut ponctuellement obéie. Le roi revint avec le grand aumônier au bout d’une demi-heure : le souper fut très-gai ; le roi et le prêtre vidèrent les six bouteilles, et avouèrent qu’il n’y avait pas de si bon vin en Égypte ; la femme de chambre eut soin d’en faire boire aux domestiques qui avaient servi. Pour la princesse, elle eut grande attention de n’en point boire, disant que son médecin l’avait mise au régime. Tout fut bientôt endormi.

L’aumônier du roi d’Égypte avait la plus belle barbe que pût porter un homme de sa sorte. Formosaute la coupa très-adroitement ; puis, l’ayant fait coudre à un petit ruban, elle l’attacha à son menton. Elle s’affubla de la robe du prêtre et de toutes les marques de sa dignité, habilla sa femme de chambre en sacristain de la déesse Isis ; enfin, s’étant munie de son urne et de ses pierreries, elle sortit de l’hôtellerie à travers les sentinelles, qui dormaient comme leur maître. La suivante avait eu soin de faire tenir à la porte deux chevaux prêts. La princesse ne pouvait mener avec elle aucun des officiers de sa suite : ils auraient été arrêtés par les grandes gardes.

Formosaute et Irla passèrent à travers des haies de soldats qui, prenant la princesse pour le grand prêtre, l’appelaient mon révérendissime père en Dieu, et lui demandaient sa bénédiction. Les deux fugitives arrivent en vingt-quatre heures à Bassora, avant