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doyen des conseillers d’État, le grand aumônier, une dame d’honneur, un médecin, un apothicaire, et son oiseau, avec tous les domestiques convenables.

Formosante, qui n’était jamais sortie du palais du roi son père, et qui jusqu’à la journée des trois rois et d’Amazan n’avait mené qu’une vie très-insipide dans l’étiquette du faste et dans l’apparence des plaisirs, fut ravie d’avoir un pèlerinage à faire. « Qui sait, disait-elle tout bas à son cœur, si les dieux n’inspireront pas à mon cher Gangaride le même désir d’aller à la même chapelle, et si je n’aurai pas le bonheur de revoir le pèlerin ? » Elle remercia tendrement son père, en lui disant qu’elle avait eu toujours une secrète dévotion pour le saint chez lequel on l’envoyait.

Bélus donna un excellent dîner à ses hôtes ; il n’y avait que des hommes. C’étaient tous gens fort mal assortis : rois, princes, ministres, pontifes, tous jaloux les uns des autres, tous pesant leurs paroles, tous embarrassés de leurs voisins et d’eux-mêmes. Le repas fut triste, quoiqu’on y bût beaucoup. Les princesses restèrent dans leurs appartements, occupées chacune de leur départ. Elles mangèrent à leur petit couvert. Formosante ensuite alla se promener dans les jardins avec son cher oiseau, qui, pour l’amuser, vola d’arbre en arbre en étalant sa superbe queue et son divin plumage.

Le roi d’Égypte, qui était chaud de vin, pour ne pas dire ivre, demanda un arc et des flèches à un de ses pages. Ce prince était à la vérité l’archer le plus maladroit de son royaume. Quand il tirait au blanc, la place où l’on était le plus en sûreté était le but où il visait ; mais le bel oiseau, en volant aussi rapidement que la flèche, se présenta lui-même au coup, et tomba tout sanglant entre les bras de Formosante. L’Égyptien, en riant d’un sot rire, se retira dans son quartier. La princesse perça le ciel de ses cris, fondit en larmes, se meurtrit les joues et la poitrine. L’oiseau mourant lui dit tout bas : « Brûlez-moi, et ne manquez pas de porter mes cendres vers l’Arabie Heureuse, à l’orient de l’ancienne ville d’Aden ou d’Éden, et de les exposer au soleil sur un petit bûcher de girofle et de cannelle. » Après avoir proféré ces paroles, il expira. Formosante resta longtemps évanouie, et ne revit le jour que pour éclater en sanglots. Son père, partageant sa douleur et faisant des imprécations contre le roi d’Égypte, ne douta pas que cette aventure n’annonçât un avenir sinistre. Il alla vite consulter l’oracle de sa chapelle. L’oracle répondit : « Mélange de tout ; mort vivant, infidélité et constance, perte et gain, calamités et bonheur. » Ni lui ni son conseil n’y purent rien comprendre ; mais enfin il était satisfait d’avoir rempli ses devoirs de dévotion.