Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/383

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Notre nouveau philosophe fut obligé d’aller à Paris pour recueillir l’héritage de son parent. D’abord les fermiers du domaine le lui disputèrent. Il eut le bonheur de gagner son procès, et la générosité de donner aux pauvres de son canton, qui n’avaient pas leur contingent de quarante écus de rente, une partie des dépouilles du richard ; après quoi il se mit à satisfaire sa grande passion d’avoir une bibliothèque.

Il lisait tous les matins, faisait des extraits, et le soir il consultait les savants pour savoir en quelle langue le serpent avait parlé à notre bonne mère ; si l’âme est dans le corps calleux ou dans la glande pinéale ; si saint Pierre avait demeuré vingt-cinq ans à Rome[1] ; quelle différence spécifique est entre un trône et une domination, et pourquoi les nègres ont le nez épaté. D’ailleurs il se proposa de ne jamais gouverner l’État, et de ne faire aucune brochure contre les pièces nouvelles. On l’appelait M. André ; c’était son nom de baptême. Ceux qui l’ont connu rendent justice à sa modestie et à ses qualités, tant acquises que naturelles. Il a bâti une maison commode dans son ancien domaine de quatre arpents. Son fils sera bientôt en âge d’aller au collège ; mais il veut qu’il aille au collège d’Harcourt, et non à celui de Mazarin, à cause du professeur Cogé[2], qui fait des libelles, et parce qu’il ne faut pas qu’un professeur de collège fasse des libelles.

Mme  André lui a donné une fille fort jolie, qu’il espère marier à un conseiller de la cour des aides, pourvu que ce magistrat n’ait pas la maladie que le chirurgien-major veut extirper dans l’Europe chrétienne.


XII. — GRANDE QUERELLE.


Pendant le séjour de M. André à Paris, il y eut une querelle importante[3]. Il s’agissait de savoir si Marc-Antonin était un honnête homme, et s’il était en enfer ou en purgatoire, ou dans les limbes, en attendant qu’il ressuscitât. Tous les honnêtes gens prirent le parti de Marc-Antonin. Ils disaient : « Antonin a tou-

  1. Voyez tome XX, pages 213 et 592.
  2. François-Marie Coger, licencié en théologie, professeur d’éloquence au collège Mazarin, né en 1723, mort le 18 mai 1780, est auteur d’un Examen du Bélisaire de Marmontel, 1767, in-8o. Voltaire l’appelle Mon Ravaillac, dans la lettre à Damilaville, du 2 octobre 1767. Voyez aussi dans les Mélanges, année 1767, le chapitre xxii et la conclusion de la Défense de mon oncle, les Anecdotes sur Bélisaire, la Lettre de Gerofle à Coger, et la Réponse catégorique au sieur Coger.
  3. La condamnation du Bélisaire de Marmontel. Voyez page 277.