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envoyait une grosse somme d’argent à trois cents lieues d’ici, à un Italien, au nom d’un Français à qui le roi avait donné un petit fief, et que ce Français ne pourrait jamais jouir des bienfaits du roi s’il ne donnait à cet Italien la première année de son revenu[1].

« La chose est très-vraie, lui dis-je ; mais elle n’est pas si plaisante. Il en coûte à la France environ quatre cent mille livres par an en menus droits de cette espèce ; et, depuis environ deux siècles et demi que cet usage dure, nous avons déjà porté en Italie quatre-vingts millions.

— Dieu paternel ! s’écria-t-il, que de fois quarante écus ! Cet Italien-là nous subjugua donc, il y a deux siècles et demi ? Il nous imposa ce tribut ?

— Vraiment, répondis-je, il nous en imposait autrefois d’une façon bien plus onéreuse. Ce n’est là qu’une bagatelle en comparaison de ce qu’il leva longtemps sur notre pauvre nation et sur les autres pauvres nations de l’Europe. » Alors je lui racontai comment ces saintes usurpations s’étaient établies. Il sait un peu d’histoire ; il a du bon sens : il comprit aisément que nous avions été des esclaves auxquels il restait encore un petit bout de chaîne. Il parla longtemps avec énergie contre cet abus ; mais avec quel respect pour la religion en général ! Comme il révérait les évêques ! comme il leur souhaitait beaucoup de quarante écus, afin qu’ils les dépensassent dans leurs diocèses en bonnes œuvres !

Il voulait aussi que tous les curés de campagne eussent un nombre de quarante écus suffisant pour les faire vivre avec décence. « Il est triste, disait-il, qu’un curé soit obligé de disputer trois gerbes de blé à son ouaille, et qu’il ne soit pas largement payé par la province[2]. Il est honteux que ces messieurs soient toujours en procès avec leurs seigneurs. Ces contestations éternelles pour des droits imaginaires, pour des dîmes, détruisent la considération qu’on leur doit. Le malheureux cultivateur, qui a déjà payé aux préposés son dixième, et les deux sous pour livre, et la taille, et la capitation, et le rachat du logement des gens de guerre, après qu’il a logé des gens de guerre, etc., etc. ; cet infortuné, dis-je, qui se voit encore enlever le dixième de sa récolte par son curé, ne le regarde plus comme son pasteur, mais comme son écorcheur, qui lui arrache le peu de peau qui lui reste. Il sent bien qu’en lui enlevant la dixième gerbe de droit divin, on a la cruauté diabolique de ne pas lui tenir compte de

  1. Voyez l’article Annates, tome XVII, page 258.
  2. Voyez tome XVIII, page 303.