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je vous prie, comment il se peut faire qu’un de mes amis, pour contredire le genre humain, prétende que les moines sont très-utiles à la population d’un État, parce que leurs bâtiments sont mieux entretenus que ceux des seigneurs, et leurs terres mieux cultivées ?

— Eh ! quel est donc votre ami qui avance une proposition si étrange ?

— C’est l’Ami des hommes[1], ou plutôt celui des moines.

— Il a voulu rire ; il sait trop bien que dix familles qui ont chacune cinq mille livres de rente en terre sont cent fois, mille fois plus utiles qu’un couvent qui jouit d’un revenu de cinquante mille livres, et qui a toujours un trésor secret. Il vante les belles maisons bâties par les moines, et c’est précisément ce qui irrite les citoyens : c’est le sujet des plaintes de l’Europe. Le vœu de pauvreté condamne les palais, comme le vœu d’humilité contredit l’orgueil, et comme le vœu d’anéantir sa race contredit la nature.

— Je commence à croire qu’il faut beaucoup se défier des livres.

— Il faut en user avec eux comme avec les hommes : choisir les plus raisonnables, les examiner, et ne se rendre jamais qu’à l’évidence. »


IX. — DES IMPÔTS PAYÉS À L’ÉTRANGER.


Il y a un mois que l’homme aux quarante écus vint me trouver en se tenant les côtés de rire, et il riait de si grand cœur que je me mis à rire aussi sans savoir de quoi il était question : tant l’homme est né imitateur ! tant l’instinct nous maîtrise ! tant les grands mouvements de l’âme sont contagieux !

Ut ridentibus arrident, ita flentibus adflent[2]
Humani vultus.

Quand il eut bien ri, il me dit qu’il venait de rencontrer un homme qui se disait protonotaire du saint-siège, et que cet homme

  1. L’Ami des hommes, par le marquis de Mirabeau, première partie, chapitre ii. Voyez aussi, dans les Mélanges, année 1763, la onzième des Remarques pour servir de supplément à l’Essai sur les mœurs.
  2. Le jésuite Sanadon a mis adsunt, pour adflent. Un amateur d’Horace prétend que c’est pour cela qu’on a chassé les jésuites. (Note de Voltaire.) — Ces vers sont d’Horace, Art poétique, vers 101-2. La leçon adsunt a prévalu ; elle est dans tous les manuscrits. Voyez Voltaire et ses Maîtres, page 296.