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suis curieux depuis que j’ai fait fortune et que j’ai du loisir. Je voudrais, quand ma volonté remue mon bras ou ma jambe, découvrir le ressort par lequel ma volonté les remue : car sûrement il y en a un. Je suis quelquefois tout étonné de pouvoir lever et abaisser mes yeux, et de ne pouvoir dresser mes oreilles. Je pense, et je voudrais connaître un peu… là… toucher au doigt ma pensée. Cela doit être fort curieux. Je cherche si je pense par moi-même, si Dieu me donne mes idées, si mon âme est venue dans mon corps à six semaines ou à un jour, comment elle s’est logée dans mon cerveau[1] ; si je pense beaucoup quand je dors profondément, et quand je suis en léthargie. Je me creuse la cervelle pour savoir comment un corps en pousse un autre. Mes sensations ne m’étonnent pas moins : j’y trouve du divin, et surtout dans le plaisir.

J’ai fait quelquefois mes efforts pour imaginer un nouveau sens, et je n’ai jamais pu y parvenir. Les géomètres savent toutes ces choses ; ayez la bonté de m’instruire.

LE GÉOMÈTRE.

Hélas ! nous sommes aussi ignorants que vous ; adressez-vous à la Sorbonne. »


VIII. — L’HOMME AUX QUARANTE ÉCUS, DEVENU PÈRE, RAISONNE SUR LES MOINES.


Quand l’homme aux quarante écus se vit père d’un garçon, il commença à se croire un homme de quelque poids dans l’État ; il espéra donner au moins dix sujets au roi, qui seraient tous utiles. C’était l’homme du monde qui faisait le mieux des paniers ; et sa femme était une excellente couturière. Elle était née dans le voisinage d’une grosse abbaye de cent mille livres de rente. Son mari me demanda un jour pourquoi ces messieurs, qui étaient en petit nombre ; avaient englouti tant de parts de quarante écus. « Sont-ils plus utiles que moi à la patrie ?

— Non, mon cher voisin

— Servent-ils comme moi à la population du pays ?

— Non, au moins en apparence.

— Cultivent-ils la terre ? défendent-ils l’État quand il est attaqué ?

  1. Ceci rappelle un passage de la scène ière de l’acte III du Festin de Pierre : et cependant il ne paraît pas que Voltaire ait eu connaissance des éditions qui contenaient ce passage ; voyez, dans les Mélanges, année 1739, une des notes sur la Vie de Molière.