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de la récolte. « Mais comme les dîmes, disait-il, sont de droit divin, je demande le quart de la substance de mes paysans au nom de Dieu. » Le ministre lui dit : « Je vois combien vous êtes charitable ! »

Un fermier général, fort intelligent dans les aides, lui dit alors : « Monseigneur, ce village ne peut rien donner à ce moine : car, ayant fait payer aux paroissiens l’année passée trente-deux impôts pour leur vin, et les ayant fait condamner ensuite à payer le trop bu, ils sont entièrement ruinés. J’ai fait vendre leurs bestiaux et leurs meubles, ils sont encore mes redevables. Je m’oppose aux prétentions du révérend père.

— Vous avez raison d’être son rival, repartit le ministre ; vous aimez l’un et l’autre également votre prochain, et vous m’édifiez tous deux. »

Un troisième, moine et seigneur, dont les paysans sont mainmortables, attendait aussi un arrêt du conseil qui le mît en possession de tout le bien d’un badaud de Paris, qui, ayant par inadvertance demeuré un an et un jour dans une maison sujette à cette servitude et enclavée dans les États de ce prêtre, y était mort au bout de l’année. Le moine réclamait tout le bien du badaud, et cela de droit divin[1].

Le ministre trouva le cœur du moine aussi juste et aussi tendre que les deux premiers.

Un quatrième, qui était contrôleur du domaine, présenta un beau mémoire par lequel il se justifiait d’avoir réduit vingt familles à l’aumône. Elles avaient hérité de leurs oncles ou tantes, ou frères, ou cousins ; il avait fallu payer les droits. Le domanier leur avait prouvé généreusement qu’elles n’avaient pas assez estimé leurs héritages, qu’elles étaient beaucoup plus riches qu’elles ne croyaient, et, en conséquence, les ayant condamnées à l’amende du triple, les ayant ruinées en frais, et fait mettre en prison les pères de famille, il avait acheté leurs meilleures possessions sans bourse délier[2].

Le Contrôleur général lui dit (d’un ton un peu amer à la vérité) : « Euge[3] ! contrôleur bone et fidelis ; quia super pauca fuisti fidelis, fermier général te constituam[4]. » Cependant il dit tout bas à un

  1. Voyez tome XVII, page 593.
  2. Le cas à peu près semblable est arrivé dans la province que j’habite, et le contrôleur du domaine a été forcé à faire restitution ; mais il n’a pas été puni. (Note de Voltaire.) — Voyez, tome X, le conte intitulé les Finances.
  3. Je me fis expliquer ces paroles par un savant à quarante écus : elles me réjouirent. (Note de Voltaire.)
  4. On lit dans l’évangile de saint Matthieu, chapitre xxv, versets 21 et 23 :