Ainsi, monsieur, les Suisses ne sont pas de droit divin dépouillés de la moitié de leurs biens ; et celui qui possède quatre vaches n’en donne pas deux à l’État ?
Non, sans doute. Dans un canton, sur treize tonneaux de vin on en donne un et on en boit douze. Dans un autre canton, on paye la douzième partie et on en boit onze.
Ah ! qu’on me fasse Suisse ! Le maudit impôt que l’impôt unique et inique qui m’a réduit à demander l’aumône ! Mais trois ou quatre cents impôts, dont les noms même me sont impossibles à retenir et à prononcer, sont-ils plus justes et plus honnêtes ? Y a-t-il jamais eu un législateur qui, en fondant un État, ait imaginé de créer des conseillers du roi mesureurs de charbons, jaugeurs de vin, mouleurs de bois, langueyeurs de porcs, contrôleurs de beurre salé ? d’entretenir une armée de faquins deux fois plus nombreuse que celle d’Alexandre, commandée par soixante généraux[1] qui mettent le pays à contribution, qui remportent des victoires signalées tous les jours, qui font des prisonniers, et qui quelquefois les sacrifient en l’air ou sur un petit théâtre de planches, comme faisaient les anciens Scythes, à ce que m’a dit mon curé ?
Une telle législation, contre laquelle tant de cris s’élevaient, et qui faisait verser tant de larmes, valait-elle mieux que celle qui m’ôte tout d’un coup nettement et paisiblement la moitié de mon existence ? J’ai peur qu’à bien compter on ne m’en prît en détail les trois quarts sous l’ancienne finance.
J’ai appris un peu d’histoire et de géométrie, mais je ne sais pas le latin.