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vins, étangs, bois, métaux, bestiaux, fruits, laines, soies, lait, huiles, tous frais faits, sans compter l’impôt ?

LE GÉOMÈTRE.

Mais, s’ils produisent chacun vingt-cinq livres, c’est beaucoup ; cependant mettons trente livres, pour ne pas décourager nos concitoyens. Il y a des arpents qui produisent des valeurs renaissantes estimées trois cents livres ; il y en a qui produisent trois livres. La moyenne proportionnelle entre trois et trois cents est trente : car vous voyez bien que trois est à trente comme trente est à trois cents. Il est vrai que, s’il y avait beaucoup d’arpents à trente livres, et très-peu à trois cents livres, notre compte ne s’y trouverait pas ; mais, encore une fois, je ne veux point chicaner.

L’HOMME AUX QUARANTE ÉCUS.

Eh bien ! monsieur, combien les quatre-vingts millions d’arpents donneront-ils de revenu, estimé en argent ?

LE GÉOMÈTRE.

Le compte est tout fait : cela produit par an deux milliards quatre cents millions de livres numéraires au cours de ce jour.

L’HOMME AUX QUARANTE ÉCUS.

J’ai lu que Salomon possédait lui seul vingt-cinq milliards d’argent comptant ; et certainement il n’y a pas deux milliards quatre cents millions d’espèces circulantes dans la France, qu’on m’a dit être beaucoup plus grande et plus riche que le pays de Salomon.

LE GÉOMÈTRE.

C’est là le mystère : il y a peut-être à présent environ neuf cents millions d’argent circulant dans le royaume, et cet argent, passant de main en main, suffit pour payer toutes les denrées et tous les travaux ; le même écu peut passer mille fois de la poche du cultivateur dans celle du cabaretier et du commis des aides.

L’HOMME AUX QUARANTE ÉCUS.

J’entends. Mais vous m’avez dit que nous sommes vingt millions d’habitants, hommes et femmes, vieillards et enfants : combien pour chacun, s’il vous plaît.

LE GÉOMÈTRE.

Cent vingt livres, ou quarante écus.

L’HOMME AUX QUARANTE ÉCUS.

Vous avez deviné tout juste mon revenu : j’ai quatre arpents qui, en comptant les années de repos mêlées avec les années de produit, me valent cent vingt livres ; c’est peu de chose.