Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/334

Cette page a été validée par deux contributeurs.

lait acheter la France, et que depuis ce temps-là les guerres étrangères nous ont débarrassés de la moitié de notre argent.

« Voilà en partie les causes de notre pauvreté. Nous la cachons sous des lambris vernis, et par l’artifice des marchandes de modes : nous sommes pauvres avec goût. Il y a des financiers, des entrepreneurs, des négociants très-riches ; leurs enfants, leurs gendres, sont très-riches ; en général la nation ne l’est pas. »

Le raisonnement de ce vieillard, bon ou mauvais, fit sur moi une impression profonde : car le curé de ma paroisse, qui a toujours eu de l’amitié pour moi, m’a enseigné un peu de géométrie et d’histoire, et je commence à réfléchir, ce qui est très-rare dans ma province. Je ne sais s’il avait raison en tout ; mais, étant fort pauvre, je n’eus pas grand’peine à croire que j’avais beaucoup de compagnons[1].


I. — DÉSASTRE DE L’HOMME AUX QUARANTE ÉCUS.


Je suis bien aise d’apprendre à l’univers[2] que j’ai une terre qui me vaudrait net quarante écus de rente, n’était la taxe à laquelle elle est imposée.

Il parut plusieurs édits de quelques personnes qui, se trouvant de loisir, gouvernent l’État au coin de leur feu[3]. Le préambule de ces édits était que la puissance législatrice et exécutrice est née de

  1. Mme de Maintenon, qui en tout genre étaie une femme fort entendue, excepté dans celui sur lequel elle consultait le trigaud et processif abbé Gobelin, son confesseur ; Mme de Maintenon, dis-je, dans une de ses lettres, fait le compte du ménage de son frère et de sa femme, en 1680. Le mari et la femme avaient à payer le loyer d’une maison agréable ; leurs domestiques étaient au nombre de dix ; ils avaient quatre chevaux et deux cochers, un bon dîner tous les jours. Mme de Maintenon évalue le tout à neuf mille francs par an, et met trois mille livres pour le jeu, les spectacles, les fantaisies, et les magnificences de monsieur et de madame.

    Il faudrait à présent environ quarante mille livres pour mener une telle vie dans Paris ; il n’en eût fallu que six mille du temps de Henri IV. Cet exemple prouve assez que le vieux bonhomme ne radote pas absolument. (Note de Voltaire.)

    — La question doit se réduire à savoir si le produit réel des terres (les frais de culture prélevés) a augmenté ou diminué depuis le temps de Henri IV, ou depuis celui de Louis XIV ; et il paraît que l’augmentation est incontestable. La nation est donc réellement plus riche qu’elle ne l’était alors. (K.) — Pour le compte fait par Mme de Maintenon, voyez tome XVIII, page 456.

  2. Dans un Mémoire présenté au roi, en 1760, Lefranc de Pompignan avait dit : « Il faut que tout l’univers sache, etc. » Voyez dans les Mélanges, année 1760, une des notes sur le premier des Dialogues chrétiens.
  3. L’Homme aux quarante écus s’imagine que ces édits ont paru, et que les économistes sont au gouvernement. (G. A.)