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CHAPITRE XIII.

le midi. La surprise et la consternation furent grandes. L’interrogant bailli fit ce jour-là plus de questions qu’il n’en avait faites dans toute la semaine ; le mari resta plus sot qu’il ne l’avait jamais été. L’abbé de Saint-Yves, en colère, prit le parti de courir après sa sœur. Le bailli et son fils voulurent l’accompagner. Ainsi la destinée conduisait à Paris presque tout ce canton de la Basse-Bretagne.

La belle Saint-Yves se doutait bien qu’on la suivrait. Elle était à cheval ; elle s’informait adroitement des courriers s’ils n’avaient point rencontré un gros abbé, un énorme bailli, et un jeune benêt, qui couraient sur le chemin de Paris. Ayant appris au troisième jour qu’ils n’étaient pas loin, elle prit une route différente, et eut assez d’habileté et de bonheur pour arriver à Versailles tandis qu’on la cherchait inutilement dans Paris.

Mais comment se conduire à Versailles ? Jeune, belle, sans conseil, sans appui, inconnue, exposée à tout, comment oser chercher un garde du roi ? Elle imagina de s’adresser à un jésuite du bas étage ; il y en avait pour toutes les conditions de la vie, comme Dieu, disaient-ils, a donné différentes nourritures aux diverses espèces d’animaux, il avait donné au roi son confesseur, que tous les solliciteurs de bénéfices appelaient le chef de l’Église gallicane ; ensuite venaient les confesseurs des princesses ; les ministres n’en avaient point : ils n’étaient pas si sots. Il y avait les jésuites du grand commun, et surtout les jésuites des femmes de chambre par lesquelles on savait les secrets des maîtresses ; et ce n’était pas un petit emploi. La belle Saint-Yves s’adressa à un de ces derniers, qui s’appelait le P. Tout-à-tous. Elle se confessa à lui, lui exposa ses aventures, son état, son danger, et le conjura de la loger chez quelque bonne dévote qui la mît à l’abri des tentations.

Le P. Tout-à-tous l’introduisit chez la femme d’un officier du gobelet, l’une de ses plus affidées pénitentes. Dès qu’elle y fut, elle s’empressa de gagner la confiance et l’amitié de cette femme ; elle s’informa du garde breton, et le fit prier de venir chez elle. Ayant su de lui que son amant avait été enlevé après avoir parlé à un premier commis, elle court chez ce commis : la vue d’une belle femme l’adoucit, car il faut convenir que Dieu n’a créé les femmes que pour apprivoiser les hommes.

Le plumitif attendri lui avoua tout. « Votre amant est à la Bastille depuis près d’un an, et sans vous il y serait peut-être toute sa vie. » La tendre Saint-Yves s’évanouit. Quand elle eut repris ses sens, le plumitif lui dit : « Je suis sans crédit pour faire du bien ; tout mon pouvoir se borne à faire du mal quelquefois. Croyez--