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n’y baptisait personne, et tremblaient pour l’âme de leur neveu. L’évêque était confondu et prêt à s’en retourner ; le prieur et l’abbé de Saint-Yves se désespéraient ; le bailli interrogeait tous les passants avec sa gravité ordinaire ; Mlle de Kerkabon pleurait ; Mlle de Saint-Yves ne pleurait pas, mais elle poussait de profonds soupirs qui semblaient témoigner son goût pour les sacrements. Elles se promenaient tristement le long des saules et des roseaux qui bordent la petite rivière de Rance, lorsqu’elles aperçurent au milieu de la rivière une grande figure assez blanche, les deux mains croisées sur la poitrine. Elles jetèrent un grand cri et se détournèrent. Mais, la curiosité l’emportant bientôt sur toute autre considération, elles se coulèrent doucement entre les roseaux ; et quand elles furent bien sûres de n’être point vues, elles voulurent voir de quoi il s’agissait.


CHAPITRE IV.

L’INGÉNU BAPTISÉ.


Le prieur et l’abbé, étant accourus, demandèrent à l’Ingénu ce qu’il faisait là. « Eh parbleu ! messieurs, j’attends le baptême : il y a une heure que je suis dans l’eau jusqu’au cou, et il n’est pas honnête de me laisser morfondre.

— Mon cher neveu, lui dit tendrement le prieur, ce n’est pas ainsi qu’on baptise en Basse-Bretagne ; reprenez vos habits et venez avec nous. « Mlle de Saint-Yves, en entendant ce discours, disait tout bas à sa compagne : » Mademoiselle, croyez-vous qu’il reprenne sitôt ses habits ? »

Le Huron cependant répartit au prieur : « Vous ne m’en ferez pas accroire cette fois-ci comme l’autre ; j’ai bien étudié depuis ce temps-là, et je suis très-certain qu’on ne se baptise pas autrement. L’eunuque de la reine Candace[1] fut baptisé dans un ruisseau ; je vous défie de me montrer dans le livre que vous m’avez donné qu’on s’y soit jamais pris d’une autre façon. Je ne serai point baptisé du tout, ou je le serai dans la rivière. » On eut beau lui remontrer que les usages avaient changé, l’Ingénu était têtu, car il était Breton et Huron. Il revenait toujours à l’eunuque de

  1. Dans les premières éditions on avait mis : la reine de Candace. En corrigeant cette faute, Voltaire mit dans Verrata un N. B., en ces termes : « Comment le P. Quesnel avait-il ignoré que Candace était le nom des belles reines d’Éthiopie, comme Pharaon ou Pharon était le titre des rois d’Égypte ? »