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Le jeune homme, plus désespéré que jamais, courut chez le confesseur de sa mère : c’était un théatin très-accrédité, qui ne dirigeait que les femmes de la première considération ; dès qu’il le vit, il se précipita vers lui. « Eh ! mon Dieu ! monsieur le marquis, où est votre carrosse ? comment se porte la respectable madame la marquise votre mère ? » Le pauvre malheureux lui conta le désastre de sa famille. À mesure qu’il s’expliquait, le théatin prenait une mine plus grave, plus indifférente, plus imposante : « Mon fils, voilà où Dieu vous voulait ; les richesses ne servent qu’à corrompre le cœur ; Dieu a donc fait la grâce à votre mère de la réduire à la mendicité ? — Oui monsieur. — Tant mieux, elle est sûre de son salut. — Mais, mon père, en attendant, n’y aurait-il pas moyen d’obtenir quelque secours dans ce monde ? — Adieu, mon fils ; il y a une dame de la cour qui m’attend. »

Le marquis fut prêt à s’évanouir ; il fut traité à peu près de même par tous ses amis, et apprit mieux à connaître le monde dans une journée que dans tout le reste de sa vie.

Comme il était plongé dans l’accablement du désespoir, il vit avancer une chaise roulante, à l’antique, espèce de tombereau couvert, accompagné de rideaux de cuir, suivi de quatre charrettes énormes toutes chargées. Il y avait dans la chaise un jeune homme grossièrement vêtu ; c’était un visage rond et frais qui respirait la douceur et la gaieté. Sa petite femme brune, et assez grossièrement agréable, était cahotée à côté de lui. La voiture n’allait pas comme le char d’un petit-maître : le voyageur eut tout le temps de contempler le marquis immobile, abîmé dans sa douleur. « Eh ! mon Dieu ! s’écria-t-il, je crois que c’est là Jeannot. » À ce nom, le marquis lève les yeux, la voiture s’arrête : « C’est Jeannot lui-même, c’est Jeannot. » Le petit homme rebondi ne fait qu’un saut, et court embrasser son ancien camarade. Jeannot reconnut Colin ; la honte et les pleurs couvrirent son visage. « Tu m’as abandonné, dit Colin ; mais tu as beau être grand seigneur, je t’aimerai toujours. » Jeannot, confus et attendri, lui conta, en sanglotant, une partie de son histoire. « Viens dans l’hôtellerie où je loge me conter le reste, lui dit Colin ; embrasse ma petite femme, et allons dîner ensemble. »

Ils vont tous trois à pied, suivis du bagage. « Qu’est-ce donc que tout cet attirail ? vous appartient-il ? — Oui, tout est à moi et à ma femme. Nous arrivons du pays ; je suis à la tête d’une bonne manufacture de fer étamé et de cuivre. J’ai épousé la fille d’un riche négociant en ustensiles nécessaires aux grands et aux petits ; nous travaillons beaucoup ; Dieu nous bénit ; nous n’avons