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peu d’esprit, peu de philosophie : on voyait bien qu’il n’avait pas été élevé par le docteur Pangloss. Au bout de trois mois, ayant perdu tout son argent, et s’étant dégoûté de moi, il me vendit à un juif nommé don Issachar, qui trafiquait en Hollande et en Portugal, et qui aimait passionnément les femmes. Ce juif s’attacha beaucoup à ma personne, mais il ne pouvait en triompher ; je lui ai mieux résisté qu’au soldat bulgare : une personne d’honneur peut être violée une fois, mais sa vertu s’en affermit. Le juif, pour m’apprivoiser, me mena dans cette maison de campagne que vous voyez. J’avais cru jusque-là qu’il n’y avait rien sur la terre de si beau que le château de Thunder-ten-tronckh ; j’ai été détrompée.

« Le grand inquisiteur m’aperçut un jour à la messe ; il me lorgna beaucoup, et me fit dire qu’il avait à me parler pour des affaires secrètes. Je fus conduite à son palais ; je lui appris ma naissance ; il me représenta combien il était au-dessous de mon rang d’appartenir à un israélite. On proposa de sa part à don Issachar de me céder à monseigneur. Don Issachar, qui est le banquier de la cour, et homme de crédit, n’en voulut rien faire. L’inquisiteur le menaça d’un auto-da-fé. Enfin mon juif, intimidé, conclut un marché par lequel la maison et moi leur appartiendraient à tous deux en commun ; que le juif aurait pour lui les lundis, mercredis, et le jour du sabbat, et que l’inquisiteur aurait les autres jours de la semaine. Il y a six mois que cette convention subsiste. Ce n’a pas été sans querelles ; car souvent il a été indécis si la nuit du samedi au dimanche appartenait à l’ancienne loi ou à la nouvelle. Pour moi, j’ai résisté jusqu’à présent à toutes les deux ; et je crois que c’est pour cette raison que j’ai toujours été aimée.

« Enfin, pour détourner le fléau des tremblements de terre, et pour intimider don Issachar, il plut à monseigneur l’inquisiteur de célébrer un auto-da-fé. Il me fit l’honneur de m’y inviter. Je fus très-bien placée ; on servit aux dames des rafraîchissements entre la messe et l’exécution. Je fus, à la vérité, saisie d’horreur en voyant brûler ces deux juifs et cet honnête Biscayen qui avait épousé sa commère ; mais quelle fut ma surprise, mon effroi, mon trouble, quand je vis, dans un san-benito et sous une mitre, une figure qui ressemblait à celle de Pangloss ! Je me frottai les yeux, je regardai attentivement, je le vis pendre ; je tombai en faiblesse. À peine reprenais-je mes sens que je vous vis dépouillé tout nu ; ce fut là le comble de l’horreur, de la consternation, de la douleur, du désespoir. Je vous dirai, avec vérité, que votre peau