Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/152

Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’une grande prudence, vendait beaucoup de choses qu’on ne doit point vendre. J’étais dans un âge où tout cela me paraissait fort plaisant. Une jeune dame de mœurs très-douces, nommée la signora Fatelo, s’avisa de m’aimer. Elle était courtisée par le révérend P. Poignardini, et par le révérend P. Aconiti, jeunes profès d’un ordre qui ne subsiste plus : elle les mit d’accord en me donnant ses bonnes grâces ; mais en même temps je courus risque d’être excommunié et empoisonné. Je partis, très-content de l’architecture de Saint Pierre.

Je voyageai en France ; c’était le temps du règne de Louis le Juste[1]. La première chose qu’on me demanda, ce fut si je voulais à mon déjeuner un petit morceau du maréchal d’Ancre, dont le peuple avait fait rôtir la chair[2], et qu’on distribuait à fort bon compte à ceux qui en voulaient.

Cet État était continuellement en proie aux guerres civiles, quelquefois pour une place au conseil, quelquefois pour deux pages de controverse. Il y avait plus de soixante ans que ce feu, tantôt couvert et tantôt soufflé avec violence, désolait ces beaux climats. C’étaient là les libertés de l’Église gallicane. « Hélas ! dis-je, ce peuple est pourtant né doux : qui peut l’avoir tiré ainsi de son caractère ? Il plaisante, et il fait des Saint-Barthélemy. Heureux le temps où il ne fera que plaisanter ! »

Je passai en Angleterre : les mêmes querelles y excitaient les mêmes fureurs. De saints catholiques avaient résolu, pour le bien de l’Église, de faire sauter en l’air, avec de la poudre, le roi, la famille royale, et tout le parlement, et de délivrer l’Angleterre de ces hérétiques. On me montra la place où la bienheureuse reine Marie, fille de Henri VIII, avait fait brûler plus de cinq cents de ses sujets. Un prêtre ibernois m’assura que c’était une très-bonne action : premièrement, parce que ceux qu’on avait brûlés étaient Anglais ; en second lieu, parce qu’ils ne prenaient jamais d’eau bénite, et qu’ils ne croyaient pas au trou de saint Patrice[3]. Il s’étonnait surtout que la reine Marie ne fût pas encore canonisée ; mais il espérait qu’elle le serait bientôt, quand le cardinal neveu aurait un peu de loisir.

J’allai en Hollande, où j’espérais trouver plus de tranquillité

  1. Louis XIII eu dès son enfance, dit Voltaire, le surnom de Juste, parce qu’il était né sous le signe de la Balance. Voyez tome XIV, le Siècle de Louis XIV, chapitre ii.
  2. Voyez tome XII, page 576.
  3. Sur le trou de saint Patrice, voyez tome XX, page 394 ; et dans les Mélanges, année 1765, la septième lettre des Lettres sur les miracles.