L’appréciation de l’académicien Auger est singulièrement calme. La critique depuis lors a haussé le ton ; elle a cherché et trouvé des accents plus vifs. Quelques lignes d’un écrivain récent nous en fourniront un exemple : « C’est dans ses contes, dit-il, qu’il faut surtout chercher Voltaire : c’est là que son génie s’épanouit en toute liberté ; c’est là qu’il nous surprend par sa gaieté profonde et sa raison souveraine ; c’est là qu’avec son rire éclatant il nous jette la vérité à pleines mains : c’est Rabelais, c’est Montaigne, c’est Voltaire. Il y a un chef-d’œuvre de Voltaire qui renferme tout Voltaire : c’est Candide, un simple roman ; mais c’est tout l’esprit français. Oui, tout Voltaire : l’imagination et la raillerie, la grandeur et la concision. Oui, tout l’esprit français est là. Que dis-je ? Swift et Sterne ont-ils plus d’humour ? L’Arioste est-il plus romanesque ? Cervantes se joue-t-il mieux de la folie et de la raison ? Dans l’antiquité, qui donc eût raconté ce poëme enjoué de la misère humaine ? Voltaire, qui jusque-là s’était montré plutôt un dessinateur qu’un peintre, semble avoir trouvé, comme par merveille, une palette préparée par un des rois de la couleur. Comme sa touche est spirituelle et lumineuse ! quelles oppositions ! quels effets ! quels miracles ! Tous ces tableaux sont étincelants d’une immortelle lumière. C’est qu’il avait pris une torche de l’enfer pour regarder l’humanité de face et de profil. Le vieux Dante n’était pas descendu si loin. L’humanité s’était laissé surprendre, un jour de colère, sur son lit de douleur[1]… »
Prenons garde qu’en forçant le trait l’apologie ne se confonde avec la censure. En résumé, la partie de l’œuvre de Voltaire que contient ce volume est de celles que le temps a laissées intactes ; le sentiment des lettrés est ici à peu près unanime ; leur admiration n’a fait que croître, malgré la succession des écoles et les changements accomplis dans le goût public ; et cette admiration cherche naturellement à renchérir dans ses expressions sur celles qu’ont employées les précédents écrivains.
Nous ajouterons seulement deux mots d’explication sur les principaux changements apportés par nous au texte de l’édition de Beuchot.
L’un d’eux consiste à avoir mis à leur place chronologique, c’est-à-dire avant l’Ingénu, l’Aventure indienne et les Aveugles juges des couleurs, que Beuchot avait rejetés à la fin du recueil comme n’ayant pas de date. M. G. Avenel, sans pouvoir profiter de sa découverte pour sa propre édition, a constaté, et nous avons constaté comme lui, que ces deux morceaux avaient tous deux paru dans le même volume que le Philosophe ignorant, en 1766 (voyez à cette date dans les Mélanges) ; seulement les Aveugles juges des couleurs y ont le titre de Petite Digression, et, dans la table, de Petite Digression sur les Quinze-Vingts. Leur place désormais est donc celle qui leur est assignée ici pour la première fois.
Un autre changement que nous nous sommes permis, c’est de restituer, dans la Princesse de Babylone, les sommaires des chapitres d’après l’édition de 1768. Cette édition, que Beuchot croit sortie des presses de Cramer, a dû
- ↑ Introduction à la seconde partie de Candide (Dernier volume des Œuvres de Voltaire, Paris, H. Plon, 1872).