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L’animal de Sirius sourit : il ne trouva pas celui-là le moins sage ; et le nain de Saturne aurait embrassé le sectateur de Locke sans l’extrême disproportion. Mais il y avait là, par malheur, un petit animalcule en bonnet carré[1] qui coupa la parole à tous les animalcules philosophes ; il dit qu’il savait tout le secret, que tout cela se trouvait dans la Somme de saint Thomas ; il regarda de haut en bas les deux habitants célestes ; il leur soutint que leurs personnes, leurs mondes, leurs soleils, leurs étoiles, tout était fait uniquement pour l’homme. À ce discours, nos deux voyageurs se laissèrent aller l’un sur l’autre en étouffant de ce rire inextinguible qui, selon Homère[2], est le partage des dieux : leurs épaules et leurs ventres allaient et venaient, et dans ces convulsions le vaisseau, que le Sirien avait sur son ongle, tomba dans une poche de la culotte du Saturnien. Ces deux bonnes gens le cherchèrent longtemps ; enfin ils retrouvèrent l’équipage, et le rajustèrent fort proprement. Le Sirien reprit les petites mites ; il leur parla encore avec beaucoup de bonté, quoiqu’il fût un peu fâché dans le fond du cœur de voir que les infiniment petits eussent un orgueil presque infiniment grand. Il leur promit de leur faire un beau livre de philosophie[3] écrit fort menu pour leur usage, et que, dans ce livre, ils verraient le bout des choses. Effectivement, il leur donna ce volume avant son départ : on le porta à Paris à l’Académie des sciences ; mais quand le vieux[4] secrétaire l’eut ouvert, il ne vit rien qu’un livre tout blanc : « Ah ! dit-il, je m’en étais bien douté. »

FIN DE L’HISTOIRE DE MICROMÉGAS.
  1. Un docteur de la Sorbonne.
  2. Illiade, I, 599.
  3. L’édition que je crois l’originale, et celle qui est datée de 1750, portent : « livre de philosophie, qui leur apprendrait des choses admirables, et qui leur montrerait le bon des choses. » (B.)
  4. Quoique la scène se passe en 1737, comme on l’a vu pages 112 et 119, on pouvait donner l’épithète de vieux à Fontenelle, qui avait alors quatre-vingts ans, et qui mourut vingt ans après. Il s’était démis, en 1740, de la place de secrétaire perpétuel.