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MIRACLES.

changent les lois de la nature entière, on n’en voit guère jusqu’au temps d’Élie, à qui le Seigneur envoya un char de feu et des chevaux de feu qui enlevèrent Élie des bords du Jourdain au ciel, sans qu’on sache en quel endroit du ciel.

Depuis le commencement des temps historiques, c’est-à-dire depuis les conquêtes d’Alexandre, vous ne voyez plus de miracles chez les Juifs.

Quand Pompée vient s’emparer de Jérusalem, quand Crassus pille le temple, quand Pompée fait passer le roi juif Alexandre par la main du bourreau, quand Antoine donne la Judée à l’Arabe Hérode, quand Titus prend d’assaut Jérusalem, quand elle est rasée par Adrien, il ne se fait aucun miracle. Il en est ainsi chez tous les peuples de la terre. On commence par la théocratie, on finit pur les choses purement humaines. Plus les sociétés perfectionnent les connaissances, moins il y a de prodiges.

Nous savons bien que la théocratie des Juifs était la seule véritable, et que celles des autres peuples étaient fausses ; mais il arriva la même chose chez eux que chez les Juifs.

En Égypte, du temps de Vulcain et de celui d’Isis et d’Osiris, tout était hors des lois de la nature : tout y rentra sous les Ptolémées.

Dans les siècles de Phos, de Chrysos et d’Épheste, les dieux et les mortels conversaient très-familièrement en Chaldée. Un dieu avertit le roi Xissutre qu’il y aura un déluge en Arménie, et qu’il faut qu’il bâtisse vite un vaisseau de cinq stades de longueur et de deux de largeur. Ces choses n’arrivent pas aux Darius et aux Alexandre.

Le poisson Oannès sortait autrefois tous les jours de l’Euphrate pour aller prêcher sur le rivage. Il n’y a plus aujourd’hui de poisson qui prêche. Il est bien vrai que saint Antoine de Padoue les a prêchés, mais c’est un fait qui arrive si rarement qu’il ne tire pas à conséquence.

Numa avait de longues conversations avec la nymphe Égérie ; on ne voit pas que César en eût avec Vénus, quoiqu’il descendît d’elle en droite ligne. Le monde va toujours, dit-on, se raffinant un peu.

Mais après s’être tiré d’un bourbier pour quelque temps, il retombe dans un autre ; à des siècles de politesse succèdent des siècles de barbarie. Cette barbarie est ensuite chassée ; puis elle reparaît : c’est l’alternative continuelle du jour et de la nuit.