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MIRACLES.

Ces philosophes ne peuvent se résoudre à croire les miracles opérés dans le iie siècle. Des témoins oculaires ont beau écrire que l’évêque de Smyrne, saint Polycarpe, ayant été condamné à être brûlé, et étant jeté dans les flammes, ils entendirent une voix du ciel qui criait : « Courage, Polycarpe, sois fort, montre-toi homme ! » qu’alors les flammes du bûcher s’écartèrent de son corps, et formèrent un pavillon de feu au-dessus de sa tête, et que du milieu du bûcher il sortit une colombe ; enfin on fut obligé de trancher la tête de Polycarpe. À quoi bon ce miracle ? disent les incrédules ; pourquoi les flammes ont-elles perdu leur nature, et pourquoi la hache de l’exécuteur n’a-t-elle pas perdu la sienne ? D’où vient que tant de martyrs sont sortis sains et saufs de l’huile bouillante, et n’ont pu résister au tranchant du glaive ? On répond que c’est la volonté de Dieu. Mais les philosophes voudraient avoir vu tout cela de leurs yeux avant de le croire.

Ceux qui fortifient leurs raisonnements par la science vous diront que les Pères de l’Église ont avoué souvent eux-mêmes qu’il ne se faisait plus de miracles de leur temps. Saint Chrysostome dit expressément : « Les dons extraordinaires de l’esprit étaient donnés même aux indignes, parce qu’alors l’Église avait besoin de miracles ; mais aujourd’hui ils ne sont pas même donnés aux dignes, parce que l’Église n’en a plus besoin. » Ensuite il avoue qu’il n’y a plus personne qui ressuscite les morts, ni même qui guérisse les malades.

Saint Augustin lui-même, malgré le miracle de Gervais et de Protais, dit dans sa Cité de Dieu : « Pourquoi ces miracles qui se faisaient autrefois ne se font-ils plus aujourd’hui ? » et il en donne la même raison. « Cur, inquiunt, nunc illa miracula quæ prædicatis facta esse non fiunt ? Possem quidem dicere necessaria prius fuisse quam crederet mundus, ad hoc ut crederet mundus. »

On objecte aux philosophes que saint Augustin, malgré cet aveu, parle pourtant d’un vieux savetier d’Hippone, qui, ayant perdu son habit, alla prier à la chapelle des vingt martyrs ; qu’en retournant il trouva un poisson dans le corps duquel il y avait un anneau d’or, et que le cuisinier qui fit cuire le poisson dit au savetier : « Voilà ce que les vingt martyrs vous donnent. »

À cela les philosophes répondent qu’il n’y a rien dans cette histoire qui contredise les lois de la nature, que la physique n’est point du tout blessée qu’un poisson ait avalé un anneau d’or, et qu’un cuisinier ait donné cet anneau à un savetier ; qu’il n’y a là aucun miracle.