Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
75
MÉTAMORPHOSE, MÉTEMPSYCOSE.

mahométan, et il vécut et mourut également méprisé des Juifs et des musulmans : ce qui a si fort discrédité la profession de faux messie que Sévi est le dernier qui ait paru[1].



MÉTAMORPHOSE, MÉTEMPSYCOSE[2].


N’est-il pas bien naturel que toutes les métamorphoses dont la terre est couverte aient fait imaginer dans l’Orient, où on a imaginé tout, que nos âmes passaient d’un corps à un autre ? Un point presque imperceptible devient un ver, ce ver devient papillon ; un gland se transforme en chêne ; un œuf en oiseau ; l’eau devient nuage et tonnerre ; le bois se change en feu et en cendre ; tout paraît enfin métamorphosé dans la nature. On attribua bientôt aux âmes, qu’on regardait comme des figures légères, ce qu’on voyait sensiblement dans des corps plus grossiers. L’idée de la métempsycose est peut-être le plus ancien dogme de l’univers connu, et il règne encore dans une grande partie de l’Inde et de la Chine.

Il est encore très-naturel que toutes les métamorphoses dont nous sommes les témoins aient produit ces anciennes fables qu’Ovide a recueillies dans son admirable ouvrage. Les Juifs mêmes ont eu aussi leurs métamorphoses. Si Niobé fut changée en marbre, Édith, femme de Loth, fut changée en statue de sel. Si Eurydice resta dans les enfers pour avoir regardé derrière elle, c’est aussi pour la même indiscrétion que cette femme de Loth fut privée de la nature humaine. Le bourg qu’habitaient Baucis et Philémon en Phrygie est changé en un lac ; la même chose arrive à Sodome. Les filles d’Anius changeaient l’eau en huile ; nous avons dans l’Écriture une métamorphose à peu près semblable, mais plus vraie et plus sacrée. Cadmus fut changé en serpent ; la verge d’Aaron devint serpent aussi.

Les dieux se changeaient très-souvent en hommes ; les Juifs n’ont jamais vu les anges que sous la forme humaine : les anges mangèrent chez Abraham. Paul, dans son Épître aux Corinthiens, dit que l’ange de Satan lui a donné des soufflets : Angelos Satana me colaphiset[3].

  1. Voyez l’Essai sur les Mœurs et l’Esprit des nations, tome XIII, page 142, où l’histoire de Sévi est plus détaillée.
  2. Dictionnaire philosophique, 1764. (B.)
  3. « Datus est, mihi stimulus carnis meæ angelus Satanæ, qui me colaphiset. » (II. Cor., chapitre xii, v. 7.)