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MESSIE.

raître sur son oint : dans son baptême, l’ombre de la colombe qui représentait le Saint-Esprit, qui descendit sur lui ; au Thabor, la nue miraculeuse qui le couvrit ; en Gethsémané, la sueur de grumeaux de sang dont tout son corps fut couvert.

Après cela, il faut pousser l’incrédulité à son comble pour ne pas reconnaître à ces traits l’oint du Seigneur par excellence, le Messie promis ; et l’on ne pourrait sans doute assez déplorer l’aveuglement inconcevable du peuple juif, s’il ne fût entré dans le plan de l’infinie sagesse de Dieu, et n’eût été, dans ses vues toutes miséricordieuses, essentiel à l’accomplissement de son œuvre, et au salut de l’humanité (B).

Mais aussi il faut convenir que dans l’état d’oppression sous lequel gémissait le peuple juif, et après toutes les glorieuses promesses que l’Éternel lui avait faites si souvent, il devait soupirer après la venue d’un Messie, l’envisager comme l’époque de son heureuse délivrance ; et qu’ainsi il est en quelque sorte excusable de n’avoir pas voulu reconnaître ce libérateur dans la personne du Seigneur Jésus, d’autant plus qu’il est de l’homme détenir plus au corps qu’à l’esprit, et d’être plus sensible aux besoins présents que flatté des avantages à venir, et toujours incertains par là même.

Au reste, on doit croire qu’Abraham, et après lui un assez petit nombre de patriarches et de prophètes, ont pu se faire une idée de la nature du règne spirituel du Messie ; mais ces idées durent rester dans le petit cercle des inspirés ; et il n’est pas étonnant qu’inconnues à la multitude, ces notions se soient altérées au point que lorsque le Sauveur parut dans la Judée, le peuple et ses docteurs, ses princes même, attendaient un monarque, un conquérant, qui par la rapidité de ses conquêtes devait s’assujettir tout le monde ; et comment concilier ces idées flatteuses avec l’état abject, en apparence misérable, de Jésus-Christ ? Aussi, scandalisés de l’entendre s’annoncer comme le Messie, ils le persécutèrent, le rejetèrent, et le firent mourir par le dernier supplice. Depuis ce temps-là, ne voyant rien qui achemine à l’accomplissement de leurs oracles, et ne voulant point y renoncer, ils se livrent à toutes sortes d’idées plus chimériques les unes que les autres.

Ainsi, lorsqu’ils ont vu les triomphes de la religion chrétienne, qu’ils ont senti qu’on pouvait expliquer spirituellement, et appliquer à Jésus-Christ la plupart de leurs anciens oracles, ils se sont avisés, contre le sentiment de leurs pères, de nier que les passages que nous leur alléguons dussent s’entendre du Messie, tordant ainsi nos saintes Écritures à leur propre perte.