Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
61
MESSE.

réunis les hommes et les femmes ensemble, après avoir, comme en la fête de Bacchus, avalé force vin céleste, comme dit Philon[1].

On sait d’ailleurs que, suivant la tradition des Juifs, après leur sortie d’Égypte et le passage de la mer Rouge, d’où la solennité de pâque prit son nom[2], Moïse et sa sœur rassemblèrent deux chœurs de musique, l’un composé d’hommes, l’autre de femmes, qui chantèrent en dansant un cantique d’actions de grâces. Ces instruments rassemblés sur-le-champ, ces chœurs arrangés avec tant de promptitude, la facilité avec laquelle les chants et la danse furent exécutés, supposent une habitude de ces deux exercices fort antérieure au moment de l’exécution.

Cet usage se perpétua dans la suite chez les Juifs[3]. Les filles de Silo dansaient, selon la coutume, à la fête solennelle du Seigneur, quand les jeunes gens de la tribu de Benjamin, à qui on les avait refusées pour épouses, les enlevèrent par le conseil des vieillards d’Israël. Encore aujourd’hui dans la Palestine, les femmes, assemblées auprès des tombeaux de leurs proches, dansent d’une manière lugubre et poussent des cris lamentables[4].

On sait aussi que les premiers chrétiens faisaient entre eux des agapes ou repas de charité, en mémoire de la dernière cène que Jésus célébra avec ses apôtres ; les païens en prirent même occasion de leur faire les reproches les plus odieux : alors, pour en bannir toute ombre de licence, les pasteurs défendirent que le baiser de paix, par où finissait cette cérémonie, se donnât entre les personnes de sexe différent[5]. Mais divers autres abus dont se plaignait déjà saint Paul[6], et que le concile de Gangres[7], l’an 324, entreprit en vain de réformer, firent enfin abolir les agapes l’an 397, par le troisième concile de Carthage, dont le canon quarante et unième ordonna de célébrer les saints mystères à jeun.

On ne doutera point que la danse n’accompagnât ces festins, si l’on fait attention que, suivant Scaliger, les évêques ne furent nommés præsules dans l’Église latine, a præsiliendo, que parce qu’ils commençaient la danse. Le picpus Hélyot, dans son Histoire des ordres monastiques, dit aussi que pendant les persécutions qui troublaient la paix des premiers chrétiens, il se forma des congrégations d’hommes et de femmes qui, à l’exemple des

  1. Traité de la Vie contemplative. (Note de Voltaire.)
  2. Exode, chapitre xv ; et Philon, Vie de Moïse, livre I. (Id.)
  3. Les Juges, chapitre xxi, v. 21. (Id.)
  4. Voyage de Le Brun. (Id.)
  5. Thomassin, Discip. de l’Église, part. III, chapitre xlvii, n° 1. (Note de Voltaire.)
  6. Corinth. I. chapitre xi. (Id.)
  7. Ville de Paphlagonie.