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MÉDECINS.

lèvera pas. Je ne distingue point ici le médecin du chirurgien ; ces deux professions ont été longtemps inséparables.

Des hommes qui s’occuperaient de rendre la santé à d’autres hommes par les seuls principes d’humanité et de bienfaisance seraient fort au-dessus de tous les grands de la terre : ils tiendraient de la Divinité. Conserver et réparer est presque aussi beau que faire.

Le peuple romain se passa plus de cinq cents ans de médecins. Ce peuple alors n’était occupé qu’à tuer, et ne faisait nul cas de l’art de conserver la vie. Comment donc en usait-on à Rome quand on avait la fièvre putride, une fistule à l’anus, un bubonocèle, une fluxion de poitrine ? On mourait.

Le petit nombre de médecins grecs qui s’introduisirent à Rome n’était composé que d’esclaves. Un médecin devint enfin chez les grands seigneurs romains un objet de luxe comme un cuisinier. Tout homme riche eut chez lui des parfumeurs, des baigneurs, des gitons, et des médecins. Le célèbre Musa, médecin d’Auguste, était esclave ; il fut affranchi et fait chevalier romain, et alors les médecins devinrent des personnages considérables.

Quand le christianisme fut si bien établi, et que nous fûmes assez heureux pour avoir des moines, il leur fut expressément défendu par plusieurs conciles d’exercer la médecine : c’était précisément le contraire qu’il eût fallu faire si on avait voulu être utile au genre humain.

Quel bien pour les hommes d’obliger ces moines d’étudier la médecine, et de guérir nos maux pour l’amour de Dieu ! N’ayant rien à gagner que le ciel, ils n’eussent jamais été charlatans. Ils se seraient éclairés mutuellement sur nos maladies et sur les remèdes. C’était la plus belle des vocations, et ce fut la seule qu’on n’eut point. On objectera qu’ils eussent pu empoisonner les impies ; mais cela eût été avantageux à l’Église. Luther n’eût peut-être jamais enlevé la moitié de l’Europe catholique à notre saint-père le pape : car à la première fièvre continue qu’aurait eue l’augustin Luther, un dominicain aurait pu lui donner des pilules. Vous me direz qu’il ne les aurait pas prises ; mais enfin, avec un peu d’adresse, on aurait pu les lui faire prendre. Continuons.

Il se trouva enfin, vers l’an 1517. un citoyen nommé Jean, animé d’un zèle charitable ; ce n’est pas Jean Calvin que je veux dire, c’est Jean surnommé de Dieu, qui institua les frères de la Charité. Ce sont, avec les religieux de la rédemption des captifs, les seuls moines utiles. Aussi ils ne sont pas comptés parmi les ordres. Les dominicains, franciscains, bernardins, prémontrés,