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XÉNOPHON.

Qu’était devenue l’ancienne aversion de Sparte pour l’or et pour l’argent ? Où était la bonne foi dans les traités ? Où était leur vertu altière et incorruptible ? C’était Cléarque, un Spartiate, qui commandait le corps principal de ces braves mercenaires.

Je n’entends rien aux manœuvres de guerre d’Artaxerxès et de Cyrus ; je ne vois pas pourquoi cet Artaxerxès, qui venait à son ennemi avec douze cent mille combattants, commence par faire tirer des lignes de douze lieues d’étendue entre Cyrus et lui ; et je ne comprends rien à l’ordre de bataille. J’entends encore moins comment Cyrus, suivi de six cents chevaux seulement, attaque dans la mêlée les six mille gardes à cheval de l’empereur, suivi d’ailleurs d’une armée innombrable. Enfin il est tué de la main d’Artaxerxès, qui, apparemment, ayant bu moins de vin que le rebelle ingrat, se battit avec plus de sang-froid et d’adresse que cet ivrogne. Il est clair qu’il gagna complètement la bataille, malgré la valeur et la résistance de treize mille Grecs, puisque la vanité grecque est obligée d’avouer qu’Artaxerxès leur fit dire de mettre bas les armes. Ils répondent qu’ils n’en feront rien, mais que, si l’empereur veut les payer, ils se mettront à son service. Il leur était donc très-indifférent pour qui ils combattissent, pourvu qu’on les payât. Ils n’étaient donc que des meurtriers à louer.

Il y a, outre la Suisse, des provinces d’Allemagne qui en usent ainsi. Il n’importe à ces bons chrétiens de tuer pour de l’argent des Anglais, ou des Français, ou des Hollandais, ou d’être tués par eux. Vous les voyez réciter leurs prières et aller au carnage comme des ouvriers vont à leur atelier. Pour moi, j’avoue que j’aime mieux ceux qui s’en vont en Pensylvanie cultiver la terre avec les simples et équitables quakers, et former des colonies dans le séjour de la paix et de l’industrie. Il n’y a pas un grand savoir-faire à tuer et à être tué pour six sous par jour ; mais il y en a beaucoup à faire fleurir la république des dunkards, ces thérapeutes nouveaux, sur la frontière du pays le plus sauvage.

Artaxerxès ne regarda ces Grecs que comme des complices de la révolte de son frère, et franchement c’est tout ce qu’ils étaient. Il se croyait trahi par eux, et il les trahit, à ce que prétend Xénophon : car après qu’un de ses capitaines eut juré en son nom de leur laisser une retraite libre, et de leur fournir des vivres ; après que Cléarque et cinq autres commandants des Grecs se furent mis entre ses mains pour régler la marcbe, il leur fit trancher la tête, et on égorgea tous les Grecs qui les avaient accompagnés dans cette entrevue, s’il faut s’en rapporter à Xénophon.

Cet acte royal nous fait voir que le machiavélisme n’est pas