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XÉNOPHANES.

affirme[1] que, dans les îles et sur la terre ferme, ils firent mourir en quarante ans plus de douze millions d’âmes. Ils faisaient certains gibets longs et bas, de manière que les pieds touchaient quasi à la terre, chacun pour treize, à l’honneur et révérence de notre Rédempteur et de ses douze apôtres, comme ils disaient, et, y mettant le feu, brûlaient ainsi tout vifs ceux qui y étaient attachés. Ils prenaient les petites créatures par les pieds, les arrachant des mamelles de leurs mères, et leur froissaient la tête contre les rochers. Las Casas oublie de remarquer que le Psalmiste[2] appelle heureux celui qui pourra traiter ainsi les petits enfants.

Au reste, il faut redire ici comme à l’article Reliques : Jésus n’a condamné que l’hypocrisie des Juifs en disant[3] : Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous courez la mer et la terre pour faire un prosélyte ; et quand il l’est devenu, vous le rendez digne de la géhenne deux fois plus que vous.



XÉNOPHANES[4].


Bayle a pris le prétexte de l’article Xénophanes pour faire le panégyrique du diable, comme autrefois Simonide, à l’occasion d’un lutteur qui avait remporté le prix à coups de poing aux jeux olympiques, chanta dans une belle ode les louanges de Castor et de Pollux. Mais, au fond, que nous importent les rêveries de Xénophanes ? Que saurons-nous en apprenant qu’il regardait la nature comme un être infini, immobile, composé d’une infinité de petits corpuscules, de petites monades douées d’une force motrice, de petites molécules organiques ; qu’il pensait d’ailleurs à peu près comme pensa depuis Spinosa, ou que plutôt il cherchait à penser, et qu’il se contredit plusieurs fois, ce qui était le propre des anciens philosophes ?

Si Anaximène enseigna que l’atmosphère était Dieu ; si Thalès attribua à l’eau la formation de toutes choses parce que l’Égypte était fécondée par ses inondations ; si Phérécide et Héraclite donnèrent au feu tout ce que Thalès donnait à l’eau, quel bien nous revient-il de toutes ces imaginations chimériques ?

  1. Pages 6 et 10 de la traduction française de Jacques de Migrode. (Note de Voltaire.)
  2. Psaume cxxxvi, v. 9. (Id.)
  3. Matthieu, chapitre xxiii, v. 15. (Id.)
  4. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772, (B.) — Il a été question de Xénophanes à l’article Emblème, tome XVIII.