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VIANDE.


VIANDE, VIANDE DÉFENDUE,
VIANDE DANGEREUSE[1].
COURT EXAMEN DES PRÉCEPTES JUIFS ET CHRÉTIENS, ET DE CEUX DES ANCIENS PHILOSOPHES.


Viande vient sans doute de victus, ce qui nourrit, ce qui soutient la vie : de victus on fit viventia ; de viventia, viande. Ce mot devrait s’appliquer à tout ce qui se mange ; mais, par la bizarrerie de toutes les langues, l’usage a prévalu de refuser cette dénomination au pain, au laitage, au riz, aux légumes, aux fruits, au poisson, et de ne le donner qu’aux animaux terrestres. Cela semble contre toute raison ; mais c’est l’apanage de toutes les langues et de ceux qui les ont faites.

Quelques premiers chrétiens se firent un scrupule de manger de ce qui avait été offert aux dieux, de quelque nature qu’il fût. Saint Paul n’approuva pas ce scrupule. Il écrit aux Corinthiens[2] : « Ce qu’on mange n’est pas ce qui nous rend agréables à Dieu. Si nous mangeons, nous n’aurons rien de plus devant lui, ni rien de moins si nous ne mangeons pas. » Il exhorte seulement à ne point se nourrir de viandes immolées aux dieux, devant ceux des frères qui pourraient en être scandalisés. On ne voit pas après cela pourquoi il traite si mal saint Pierre, et le reprend d’avoir mangé des viandes défendues avec les Gentils. On voit d’ailleurs dans les Actes des apôtres que Simon-Pierre était autorisé à manger de tout indifféremment : car il vit un jour le ciel ouvert, et une grande nappe descendant par les quatre coins du ciel en terre ; elle était couverte de toutes sortes d’animaux terrestres à quatre pieds, de toutes les espèces d’oiseaux et de reptiles (ou animaux qui nagent), et une voix lui cria : Tue et mange[3].

Vous remarquerez qu’alors le carême et les jours de jeûne n’étaient point institués. Rien ne s’est jamais fait que par degrés. Nous pouvons dire ici, pour la consolation des faibles, que la querelle de saint Pierre et de saint Paul ne doit point nous effrayer. Les saints sont hommes. Paul avait commencé par être le geôlier et même le bourreau des disciples de Jésus. Pierre avait renié Jésus, et nous avons vu que l’Église naissante, souffrante, militante,

  1. Article ajouté, en 1774, dans l’édition in-4o des Questions sur l’Encyclopédie. (B.)
  2. Ire aux Corinthiens, chapitre viii. (Note de Voltaire.)
  3. Actes, chapitre x. (Id.)