Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/570

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
560
VÉRITÉ.

raient pas été trop pour déraciner toutes ses vieilles erreurs, et six autres années pour le mettre en état de recevoir le bonnet de docteur.

Si Pilate avait eu une tête bien organisée, je n’aurais demandé que deux ans pour lui apprendre les vérités métaphysiques ; et comme ces vérités sont nécessairement liées avec celles de la morale, je me flatte qu’en moins de neuf ans Pilate serait devenu un vrai savant et parfaitement honnête homme.

VÉRITÉS HISTORIQUES.

J’aurais dit ensuite à Pilate : Les vérités historiques ne sont que des probabilités. Si vous avez combattu à la bataille de Philippes, c’est pour vous une vérité que vous connaissez par intuition, par sentiment. Mais pour nous, qui habitons tout auprès du désert de Syrie, ce n’est qu’une chose très-probable, que nous connaissons par ouï-dire. Combien faut-il de ouï-dire pour former une persuasion égale à celle d’un homme qui, ayant vu la chose, peut se vanter d’avoir une espèce de certitude ?

Celui qui a entendu dire la chose à douze mille témoins oculaires n’a que douze mille probabilités, égales à une forte probabilité, laquelle n’est pas égale à la certitude.

Si vous ne tenez la chose que d’un seul des témoins, vous ne savez rien : vous devez douter. Si le témoin est mort, vous devez douter encore plus, car vous ne pouvez plus vous éclaircir. Si de plusieurs témoins morts, vous êtes dans le même cas.

Si de ceux à qui les témoins ont parlé, le doute doit encore augmenter.

De génération en génération le doute augmente, et la probabilité diminue ; et bientôt la probabilité est réduite à zéro.

DES DEGRÉS DE VÉRITÉ SUIVANT LESQUELS ON JUGE LES ACCUSÉS.

On peut être traduit en justice ou pour des faits, ou pour des paroles.

Si pour des faits, il faut qu’ils soient aussi certains que le sera le supplice auquel vous condamnerez le coupable : car si vous n’avez, par exemple, que vingt probabilités contre lui, ces vingt probabilités ne peuvent équivaloir à la certitude de sa mort. Si vous voulez avoir autant de probabilités qu’il vous en faut pour être sûr que vous ne répandez point le sang innocent, il faut qu’elles naissent