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VÉRITÉ.

bien peu curieux. L’accusé amené devant lui dit qu’il est roi, qu’il est né pour être roi ; et il ne s’informe pas comment cela peut être. Il est juge suprême au nom de César, il a la puissance du glaive ; son devoir était d’approfondir le sens de ces paroles. Il devait dire : Apprenez-moi ce que vous entendez par être roi. Comment êtes-vous né pour être roi et pour rendre témoignage à la vérité ? On prétend qu’elle ne parvient que difficilement à l’oreille des rois. Moi qui suis juge, j’ai toujours eu une peine extrême à la découvrir. Instruisez-moi pendant que vos ennemis crient là dehors contre vous ; vous me rendrez le plus grand service qu’on ait jamais rendu à un juge ; et j’aime bien mieux apprendre à connaître le vrai que de condescendre à la demande tumultueuse des Juifs, qui veulent que je vous fasse pendre.

Nous n’oserons pas sans doute rechercher ce que l’auteur de toute vérité aurait pu dire à Pilate.

Aurait-il dit : « La vérité est un mot abstrait que la plupart des hommes emploient indifféremment dans leurs livres et dans leurs jugements, pour erreur et mensonge ? » Cette définition aurait merveilleusement convenu à tous les faiseurs de systèmes. Ainsi le mot sagesse est pris souvent pour folie, et esprit pour sottise.

Humainement parlant, définissons la vérité, en attendant mieux, ce qui est énoncé tel qu’il est.

Je suppose qu’on eût mis seulement six mois à enseigner à Pilate les vérités de la logique, il eût fait sans doute ce syllogisme concluant : On ne doit point ôter la vie à un homme qui n’a prêché qu’une bonne morale ; or celui qu’on m’a déféré a, de l’avis de ses ennemis même, prêché souvent une morale excellente : donc on ne doit point le punir de mort.

Il aurait pu encore tirer cet autre argument :

Mon devoir est de dissiper les attroupements d’un peuple séditieux qui demande la mort d’un homme, sans raison et sans forme juridique ; or tels sont les Juifs dans cette occasion : donc je dois les renvoyer et rompre leur assemblée.

Nous supposons que Pilate savait l’arithmétique ; ainsi nous ne parlerons pas de ces espèces de vérités.

Pour les vérités mathématiques, je crois qu’il aurait fallu trois ans pour le moins avant qu’il pût être au fait de la géométrie transcendante. Les vérités de la physique, combinées avec celles de la géométrie, auraient exigé plus de quatre ans. Nous en consumons six, d’ordinaire, à étudier la théologie ; j’en demande douze pour Pilate, attendu qu’il était païen, et que six ans n’au-