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TRINITÉ.

Il est difficile de bien comprendre ce système de Timée, qui peut-être le tenait des Égyptiens, peut-être des brachmanes. Je ne sais si on l’entendait bien de son temps. Ce sont de ces médailles frustes et couvertes de rouille, dont la légende est effacée. On a pu la lire autrefois, on la devine aujourd’hui comme on peut.

Il ne me paraît pas que ce sublime galimatias ait fait beaucoup de fortune jusqu’à Platon. Il fut enseveli dans l’oubli, et Platon le ressuscita. Il construisit son édifice en l’air, mais sur le modèle de Timée.

Il admit trois essences divines, le père, le suprême, le producteur :

Le père des autres dieux est la première essence.

La seconde est le Dieu visible, ministre du Dieu invisible, le verbe, l’entendement, le grand démon.

La troisième est le monde.

Il est vrai que Platon dit souvent des choses toutes différentes, et même toutes contraires : c’est le privilége des philosophes grecs, et Platon s’est servi de son droit plus qu’aucun des anciens et des modernes.

Un vent grec poussa ces nuages philosophiques d’Athènes dans Alexandrie, ville prodigieusement entêtée de deux choses, d’argent et de chimères. Il y avait dans Alexandrie des Juifs qui, ayant fait fortune, se mirent à philosopher.

La métaphysique a cela de bon qu’elle ne demande pas des études préliminaires bien gênantes. C’est là qu’on peut savoir tout sans avoir jamais rien appris : et pour peu qu’on ait l’esprit un peu subtil et bien faux, on peut être sûr d’aller loin.

Philon le juif fut un philosophe de cette espèce : il était contemporain de Jésus-Christ ; mais il eut le malheur de ne le pas connaître, non plus que Josèphe l’historien. Ces deux hommes considérables, employés dans le chaos des affaires d’État, furent trop éloignés de la lumière naissante. Ce Philon était une tête toute métaphysique, toute allégorique, toute mystique. C’est lui qui dit que Dieu devait former le monde en six jours, comme il le forma, selon Zoroastre, en six temps[1], « parce que trois est la moitié de six, et que deux en est le tiers, et que ce nombre est mâle et femelle ».

Ce même homme, entêté des idées de Platon, dit, en parlant de l’ivrognerie, que Dieu et la sagesse se marièrent, et que la sagesse accoucha d’un fils bien-aimé : ce fils est le monde.

  1. Page 4, édition de 1719. (Note de Voltaire.)