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MARTYRS.

sept pucelles. Il court se mettre en oraison dans une hutte avec un neveu de sainte Thécuse. Il prie le ciel que ces sept dames soient plutôt mortes que nues. Sa prière est exaucée : il apprend que les sept filles, au lieu d’être déflorées, ont été jetées dans le lac, une pierre au cou, par ordre du gouverneur. Leur virginité est en sûreté. « À cette nouvelle, le saint, se relevant de terre et se tenant sur les genoux, tourna ses yeux vers le ciel : et parmi les divers mouvements d’amour, de joie et de reconnaissance qu’il ressentait, il dit : « Je vous rends grâces, Seigneur, de ce que vous n’avez pas rejeté la prière de votre serviteur. »

« Il s’endormit, et pendant son sommeil sainte Thécuse, la plus jeune des noyées, lui apparut. « Eh quoi ! mon fils Théodote, lui dit-elle, vous dormez sans penser à nous ! Avez-vous oublié sitôt les soins que j’ai pris de votre jeunesse ? Ne souffrez pas, mon cher Théodote, que nos corps soient mangés des poissons. Allez au lac, mais gardez vous d’un traître. »

Ce traître était le propre neveu de sainte Thécuse.

J’omets ici une foule d’aventures miraculeuses qui arrivèrent au cabaretier, pour venir à la plus importante. Un cavalier céleste armé de toutes pièces, précédé d’un flambeau céleste, descend du haut de l’empyrée, conduit au lac le cabaretier au milieu des tempêtes, écarte tous les soldats qui gardaient le rivage, et donne le temps à Théodote de repêcher les sept vieilles et de les enterrer.

Le neveu de Thécuse alla malheureusement tout dire. On saisit Théodote ; on essaya en vain pendant trois jours tous les supplices pour le faire mourir ; on ne put en venir à bout qu’en lui tranchant la tête, opération à laquelle les saints ne résistent jamais.

Il restait de l’enterrer. Son ami le curé Fronton, à qui Théodote, en qualité de cabaretier, avait donné deux outres remplies de bon vin, enivra les gardes et emporta le corps. Alors Théodote apparut en corps et en âme au curé : « Eh bien, mon ami, lui dit-il, ne t’avais-je pas bien dit que tu aurais des reliques pour ta chapelle. »

C’est là ce que rapporte saint Nil, témoin oculaire, qui ne pouvait être ni trompé ni trompeur ; c’est là ce que transcrit dom Ruinart comme un acte sincère. Or tout homme sensé, tout chrétien sage lui demandera si on s’y serait pris autrement pour déshonorer la religion la plus sainte, la plus auguste de la terre, et pour la tourner en ridicule.

Je ne parlerai point des onze mille vierges ; je ne discuterai