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MARTYRS.

ques. — Allez, allez, reprit saint Théodote, vous en aurez bientôt, sur ma parole, et voici mon anneau que je vous donne pour gage ; bâtissez vite la chapelle. »

Le cabaretier avait le don de prophétie, et savait bien ce qu’il disait. Il s’en va à la ville d’Ancyre, tandis que le curé Fronton se met à bâtir. Il y trouve la persécution la plus horrible, qui durait depuis très-longtemps. Sept vierges chrétiennes, dont la plus jeune avait soixante et dix ans, venaient d’être condamnées, selon l’usage, à perdre leur pucelage par le ministère de tous les jeunes gens de la ville. La jeunesse d’Ancyre, qui avait probablement des affaires plus pressantes, ne s’empressa pas d’exécuter la sentence. Il ne s’en trouva qu’un qui obéit à la justice. Il s’adressa à sainte Thécuse, et la mena dans un cabinet avec une valeur étonnante. Thécuse se jeta à ses genoux, et lui dit : Pour Dieu, mon fils, un peu de vergogne ; « voyez ces yeux éteints, cette chair demi-morte, ces rides pleines de crasse, que soixante et dix ans ont creusées sur mon front, ce visage couleur de terre.... Quittez des pensées si indignes d’un jeune homme comme vous ; Jésus-Christ vous en conjure par ma bouche ; il vous le demande comme une grâce, et si vous la lui accordez vous pouvez attendre tout de sa reconnaissance. » Ce discours de la vieille et son visage firent rentrer tout à coup l’exécuteur en lui-même. Les sept vierges ne furent point déflorées.

Le gouverneur, irrité, chercha un autre supplice ; il les fit initier sur-le-champ aux mystères de Diane et de Minerve. Il est vrai qu’on avait institué de grandes fêtes en l’honneur de ces divinités ; mais on ne connaît point dans l’antiquité les mystères de Minerve et de Diane. Saint Nil, intime ami du cabaretier Théodote, auteur de cette histoire merveilleuse, n’était pas au fait.

On mit, selon lui, les sept belles demoiselles toutes nues sur le char qui portait la grande Diane et la sage Minerve au bord d’un lac voisin. Le Thucydide saint Nil paraît encore ici fort mal informé. Les prêtresses étaient toujours couvertes d’un voile ; et jamais les magistrats romains n’ont fait servir la déesse de la chasteté et celle de la sagesse par des filles qui montrassent aux peuples leur devant et leur derrière.

Saint Nil ajoute que le char était précédé par deux chœurs de ménades qui portaient le thyrse en main. Saint Nil a pris ici les prêtresses de Minerve pour celles de Bacchus. Il n’était pas versé dans la liturgie d’Ancyre.

Le cabaretier, en entrant dans la ville, vit ce funeste spectacle, le gouverneur, les ménades, la charrette. Minerve, Diane, et les