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THÉOCRATIE.

pas entre eux. Il a des frères depuis Pékin jusqu’à la Cayenne, et il compte tous les sages pour ses frères. Il croit que la religion ne consiste ni dans les opinions d’une métaphysique inintelligible, ni dans de vains appareils, mais dans l’adoration et dans la justice. Faire le bien, voilà son culte ; être soumis à Dieu, voilà sa doctrine. Le mahométan lui crie : « Prends garde à toi si tu ne fais pas le pèlerinage de la Mecque ! — Malheur à toi, lui dit un récollet, si tu ne fais pas un voyage à Notre-Dame de Lorette ! » Il rit de Lorette et de la Mecque ; mais il secourt l’indigent et il défend l’opprimé.



THÉOCRATIE[1].
GOUVERNEMENT DE DIEU OU DES DIEUX.

Il m’arrive tous les jours de me tromper ; mais je soupçonne que les peuples qui ont cultivé les arts ont été tous sous une théocratie. J’excepte toujours les Chinois, qui paraissent sages dès qu’ils forment une nation. Ils sont sans superstition sitôt que la Chine est un royaume. C’est bien dommage qu’ayant été d’abord élevés si haut, ils soient demeurés au degré où ils sont depuis si longtemps dans les sciences. Il semble qu’ils aient reçu de la nature une grande mesure de bon sens, et une assez petite d’industrie ; mais aussi leur industrie s’est déployée bien plus tôt que la nôtre.

Les Japonais leurs voisins, dont on ne connaît point du tout l’origine (car quelle origine connaît-on ?), furent incontestablement gouvernés par une théocratie. Leurs premiers souverains bien reconnus étaient les daïris, les grands-prêtres de leurs dieux : cette théocratie est très-avérée. Ces prêtres régnèrent despotiquement environ dix-huit cents ans. Il arriva au milieu de notre xiie siècle qu’un capitaine, un imperator, un seogon partagea leur autorité ; et dans notre xvie siècle les capitaines la prirent tout entière et l’ont conservée. Les daïris sont restés les chefs de la religion. Ils étaient rois, ils ne sont plus que saints : ils règlent les fêtes, ils confèrent des titres sacrés ; mais ils ne peuvent donner une compagnie d’infanterie.

Les brachmanes dans l’Inde ont eu longtemps le pouvoir théocratique, c’est-à-dire qu’ils ont eu le pouvoir souverain au nom de Brama, fils de Dieu ; et dans l’abaissement où ils sont aujour-

  1. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)