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THÉISTE.

salue pas notre père commun avec les mêmes cérémonies que moi, dois-je l’égorger et lui arracher le cœur[1] ?

Qu’est-ce qu’un vrai théiste ? C’est celui qui dit à Dieu : Je vous adore, et je vous sers ; c’est celui qui dit au Turc, au Chinois, à l’Indien, et au Russe : Je vous aime.

Il doute peut-être que Mahomet ait voyagé dans la lune, et en ait mis la moitié dans sa manche ; il ne veut pas qu’après sa mort sa femme se brûle par dévotion ; il est quelquefois tenté de ne pas croire à l’histoire des onze mille vierges, et à celle de saint Amable, dont le chapeau et les gants furent portés par un rayon du soleil d’Auvergne jusqu’à Rome. Mais à cela près c’est un homme juste. Noé l’aurait mis dans son arche, Numa Pompilius dans ses conseils ; il aurait monté sur le char de Zoroastre ; il aurait philosophé avec les Platon, les Aristippe, les Cicéron, les Atticus ; mais n’aurait-il point bu de la ciguë avec Socrate ?



THÉISTE[2].


Le théiste est un homme fermement persuadé de l’existence d’un Être suprême aussi bon que puissant, qui a formé tous les êtres étendus, végétants, sentants, et réfléchissants ; qui perpétue leur espèce, qui punit sans cruauté les crimes, et récompense avec bonté les actions vertueuses.

Le théiste ne sait pas comment Dieu punit, comment il favorise, comment il pardonne : car il n’est pas assez téméraire pour se flatter de connaître comment Dieu agit ; mais il sait que Dieu agit, et qu’il est juste. Les difficultés contre la Providence ne l’ébranlent point dans sa foi, parce qu’elles ne sont que de grandes difficultés, et non pas des preuves ; il est soumis à cette Providence, quoiqu’il n’en aperçoive que quelques effets et quelques dehors ; et, jugeant des choses qu’il ne voit pas par les choses qu’il voit, il pense que cette Providence s’étend dans tous les lieux et dans tous les siècles.

Réuni dans ce principe avec le reste de l’univers, il n’embrasse aucune des sectes qui toutes se contredisent. Sa religion est la plus ancienne et la plus étendue : car l’adoration simple d’un Dieu a précédé tous les systèmes du monde. Il parle une langue que tous les peuples entendent, pendant qu’ils ne s’entendent

  1. Fin de l’article en 1742 ; le reste existe dès 1756. (B.)
  2. Dictionnaire philosophique, 1765, in-12. (B.)