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SUPERSTITION.
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heure. La danse est très agréable, elle est utile au corps ; elle réjouit l’âme, elle ne fait de mal à personne ; mais n’allez pas croire que Pomone et Vertumne vous sachent beaucoup de gré d’avoir sauté en leur honneur, et qu’ils vous punissent d’y avoir manqué. Il n’y a d’autre Pomone ni d’autre Vertumne que la bêche et le hoyau du jardinier. Ne soyez pas assez imbéciles pour croire que votre jardin sera grêlé si vous avez manqué de danser la pyrrhique ou la cordace.

Il y a peut-être une superstition pardonnable et même encourageante à la vertu : c’est celle de placer parmi les dieux les grands hommes qui ont été les bienfaiteurs du genre humain. Il serait mieux sans doute de s’en tenir à les regarder simplement comme des hommes vénérables, et surtout de tâcher de les imiter. Vénérez sans culte un Solon, un Thalès, un Pythagore ; mais n’adorez pas un Hercule pour avoir nettoyé les écuries d’Augias, et pour avoir couché avec cinquante filles dans une nuit.

Gardez-vous surtout d’établir un culte pour des gredins qui n’ont eu d’autre mérite que l’ignorance, l’enthousiasme et la crasse ; qui se sont fait un devoir et une gloire de l’oisiveté et de la gueuserie : ceux qui ont été au moins inutiles pendant leur vie méritent-ils l’apothéose après leur mort ?

Remarquez que les temps les plus superstitieux ont toujours été ceux des plus horribles crimes.

SECTION V[1].

Le superstitieux est au fripon ce que l’esclave est au tyran. Il y a plus encore : le superstitieux est gouverné par le fanatique, et le devient. La superstition, née dans le paganisme, adoptée par le judaïsme, infecta l’Église chrétienne dès les premiers temps. Tous les Pères de l’Église sans exception crurent au pouvoir de la magie. L’Église condamna toujours la magie, mais elle y crut toujours : elle n’excommunia point les sorciers comme des fous qui étaient trompés, mais comme des hommes qui étaient réellement en commerce avec les diables.

Aujourd’hui la moitié de l’Europe croit que l’autre a été longtemps et est encore superstitieuse. Les protestants regardent les reliques, les indulgences, les macérations, les prières pour les morts, l’eau bénite, et presque tous les rites de l’Église romaine, comme une démence superstitieuse. La superstition, selon eux,

  1. Addition de 1765 ; faisait la seconde section. (B.)