Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/451

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
441
STYLE.

quence nécessaire de l’essence propre de l’homme et de celle des êtres qui agissent sur lui. Toutes nos institutions, nos réflexions, nos connaissances, n’ont pour objet que de nous procurer un bonheur vers lequel notre propre nature nous force de tendre sans cesse. Tout ce que nous faisons ou pensons, tout ce que nous sommes et que nous serons, n’est jamais qu’une suite de ce que la nature nous a faits. »

Je n’examine point ici le fond de cette métaphysique ; je ne recherche point comment nos inventions pour changer notre façon d’être, etc., sont les effets nécessaires d’une essence qui ne change point. Je me borne au style. Tout ce que nous serons n’est jamais : quel solécisme ! une suite de ce que la nature nous a faits : quel autre solécisme ! Il fallait dire : ne sera jamais qu’une suite des lois de la nature. Mais il l’a déjà dit quatre fois en trois pages.

Il est très-difficile de se faire des idées nettes sur Dieu et sur la nature ; il est peut-être aussi difficile de se faire un bon style[1].

Voici un monument singulier de style dans un discours que nous entendîmes à Versailles en 1745.


HARANGUE AU ROI, PRONONCÉE PAR M. LE CAMUS, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR
DES AIDES.


Sire,

Les conquêtes de Votre Majesté sont si rapides qu’il s’agit de ménager la croyance des descendants, et d’adoucir la surprise des miracles, de peur que les héros ne se dispensent de les suivre, et les peuples de les croire.

Non, sire, il n’est plus possible qu’ils en doutent lorsqu’ils liront dans l’histoire qu’on a vu Votre Majesté à la tête de ses troupes les écrire elle-même au champ de Mars sur un tambour : c’est les avoir gravés à toujours au temple de mémoire.

Les siècles les plus reculés sauront que l’Anglais, cet ennemi fier et audacieux, cet ennemi jaloux de votre gloire, a été forcé de tourner autour de votre victoire ; que leurs alliés ont été témoins de leur honte, et qu’ils n’ont tous accouru au combat que pour immortaliser le triomphe du vainqueur.

Nous n’osons dire à Votre Majesté, quelque amour qu’elle ait pour son peuple, qu’il n’y a plus qu’un secret d’augmenter notre bonheur, c’est de diminuer son courage, et que le Ciel nous ven-

  1. Fin de l’article en 1771 : le reste fut ajouté en 1774. (B.)