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MARIE MAGDELEINE.

faisant combattre le sec et l’humide, le froid et le chaud, en coupant en deux des anges qui se rentraient sur-le-champ, en bâtissant un pont sur le chaos, en représentant le Messiath qui prend dans une armoire du ciel un grand compas pour circonscrire la terre, etc., etc., etc. Virgile et Horace auraient peut-être trouvé ces idées un peu étranges. Mais si elles ont réussi en Angleterre à l’aide de quelques vers très-heureux, le christiadier s’est trompé quand il a espéré du succès de son roman, sans le soutenir par de beaux vers, qui à la vérité sont très-difficiles à faire.

Mais, dit l’auteur, un Jérôme Vida, évêque d’Albe, a fait jadis une très-importante Christiade en vers latins, dans laquelle il a transcrit beaucoup de vers de Virgile. — Eh bien, mon ami, pourquoi as-tu fait la tienne en prose française ? Que n’imitais-tu Virgile aussi ?

Mais feu M. d’Escorbiac, Toulousain, a fait aussi une Christiade. — Ah ! malheureux, pourquoi t’es-tu fait le singe de feu M. d’Escorbiac[1] ?

Mais Milton a fait aussi son roman du Nouveau Testament, son Paradis reconquis, en vers blancs qui ressemblent souvent à la plus mauvaise prose. — Va, va, laisse Milton mettre toujours aux prises Satan avec Jésus. C’est à lui qu’il appartient de faire conduire en grands vers, dans la Galilée, un troupeau de deux mille cochons par une légion de diables, c’est-à-dire par six mille sept cents diables qui s’emparent de ces cochons (à trois diables et sept vingtièmes par cochon), et qui les noient dans un lac. C’est à Milton qu’il sied bien de faire proposer à Dieu par le diable de faire ensemble un bon souper[2]. Le diable, dans Milton, peut à son aise couvrir la table d’ortolans, de perdrix, de soles, d’esturgeons, et faire servir à boire par Hébé et par Ganymède à Jésus-Christ. Le diable peut emporter Dieu sur une petite montagne, du haut de laquelle il lui montre le Capitole, les îles Moluques, et la ville des Indes où naquit la belle Angélique, qui fit tourner la tête à Roland. Après quoi le diable offre à Dieu de lui donner tout cela, pourvu que Dieu veuille l’adorer. Mais Milton a eu beau faire, on s’est moqué de lui ; on s’est moqué du pauvre frère Berruyer le jésuite ; on se moque de toi, prends la chose en patience.

  1. Escorbiac n’ayant pas d’article dans la Biographie toulousaine, 1823, 2 vol. in-8o, on peut croire que sa Christiade n’a point été imprimée, et même que M. d’Escorbiac est un personnage imaginaire. (B.)
  2. Allons donc, fils de Dieu, mots-toi à table et mange.

    What doubt’st thou, son of God? sit down and eat.

    (Paradise regain’d, book II.)
    (Note de Voltaire.)