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SOMNAMBULES.

loi des Juifs ne défendait pas l’onéiromantie, c’est-à-dire la science des songes.

SECTION IV.
À Lausanne, 23 octobre 1757.

Dans un de mes rêves, je soupais avec M. Touron, qui faisait les paroles et la musique des vers qu’il nous chantait. Je lui lis ces quatre vers dans mon songe :

Mon cher Touron, que tu m’enchantes
Par la douceur de tes accents !
Que tes vers sont doux et coulants !
Tu les fais comme tu les chantes.

Dans un autre rêve je récitai le premier chant de la Henriade tout autrement qu’il n’est. Hier, je rêvai qu’on nous disait des vers à souper. Quelqu’un prétendait qu’il y avait trop d’esprit ; je lui répondais que les vers étaient une fête qu’on donnait à l’âme, et qu’il fallait des ornements dans les fêtes.

J’ai donc, en rêvant, dit des choses que j’aurais dites à peine dans la veille ; j’ai donc eu des pensées réfléchies malgré moi, et sans y avoir la moindre part. Je n’avais ni volonté, ni liberté ; et cependant je combinais des idées avec sagacité, et même avec quelque génie. Que suis-je donc sinon une machine ?



SOPHISTE[1].


Un géomètre un peu dur nous parlait ainsi :

Y a-t-il rien dans la littérature de plus dangereux que des rhéteurs sophistes ? Parmi ces sophistes y en eut-il jamais de plus inintelligibles et de plus indignes d’être entendus que le divin Platon ?

La seule idée utile qu’on puisse peut-être trouver chez lui est l’immortalité de l’âme, qui était déjà établie chez tous les peuples policés. Mais comment prouve-t-il cette immortalité ?

On ne peut trop remettre cette preuve sous nos yeux pour nous faire bien apprécier ce fameux Grec.

Il dit, dans son Phédon, que la mort est le contraire de la vie, que le mort naît du vivant, et le vivant du mort, et que par conséquent les âmes vont sous terre après notre mort.

  1. Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771. (B.)