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SOLDAT.

voix pour lui. Cela fait présumer qu’il y avait deux cent vingt philosophes dans ce tribunal ; mais cela fait voir que dans toute compagnie le nombre des philosophes est toujours le plus petit.

Socrate but donc la cigüe pour avoir parlé en faveur de l’unité de Dieu ; et ensuite les Athéniens consacrèrent une chapelle à Socrate, à celui qui s’était élevé contre les chapelles dédiées aux êtres inférieurs.



SOLDAT[1].


Le ridicule faussaire qui fit ce Testament du cardinal de Richelieu[2], dont nous avons beaucoup plus parlé qu’il ne mérite, donne pour un beau secret d’État de lever cent mille soldats quand on veut en avoir cinquante mille.

Si je ne craignais d’être aussi ridicule que ce faussaire, je dirais qu’au lieu de lever cent mille mauvais soldats il en faut engager cinquante mille bons ; qu’il faut rendre leur profession honorable ; qu’il faut qu’on la brigue, et non pas qu’on la fuie ; que cinquante mille guerriers assujettis à la sévérité de la règle sont bien plus utiles que cinquante mille moines ;

Que ce nombre est suffisant pour défendre un État de l’étendue de l’Allemagne, ou de la France, ou de l’Espagne, ou de l’Italie ;

Que des soldats en petit nombre dont on a augmenté l’honneur et la paye ne déserteront point ;

Que cette paye étant augmentée dans un État, et le nombre des engagés diminué, il faudra bien que les États voisins imitent celui qui aura le premier rendu ce service au genre humain ;

Qu’une multitude d’hommes dangereux étant rendue à la culture de la terre ou aux métiers, et devenue utile, chaque État en sera plus florissant.

M. le marquis de Monteynard a donné, en 1771, un exemple à l’Europe : il a donné un surcroît à la paye, et des honneurs aux soldats qui serviraient après le temps de leur engagement. Voilà comme il faut mener les hommes[3].

  1. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)
  2. Voyez la note, tome XVII, page 211 ; et dans les Mélanges, année 1763, la xxe des Remarques pour servir de supplément à l’Essai sur les Mœurs.
  3. Le marquis de Monteynard fut un des rares honnêtes gens qui se trouvèrent à la tête des affaires sous Louis XV. Ministre de la guerre, il rétablit l’émulation par l’avancement en ne l’accordant qu’au mérite ; il fit cesser les désertions en faisant cesser les mauvais traitements, et, pour la première fois, imagina une décoration pour les soldats. Son collègue aux finances, l’abbé Terray, ayant prétendu un jour qu’il fallait suspendre le payement de la solde : « Malheureux, alla lui crier Monteynard, vous n’avez jamais manqué d’argent pour payer les p...... et les m...... du roi, et vous n’en avez pas pour payer ses troupes ! Je ne veux plus rien avoir de commun avec des gens comme vous ! » Et il offrit sa démission. On ne l’accepta pas ce jour-là ; mais quelque temps après il sautait. (G. A.)