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SOCRATE.



SOCINIENS, ou ARIENS,


ou ANTITRINITAIRES[1].



SOCRATE[2].


Le moule est-il cassé de ceux qui aimaient la vertu pour elle-même, un Confucius, un Pythagore]], un Thalès, un Socrate ? Il y avait de leur temps des foules de dévots à leurs pagodes et leurs divinités, des esprits frappés de la crainte de Cerbère et des Furies, qui couraient les initiations, les pèlerinages, les mystères ; qui se ruinaient en offrandes de brebis noires. Tous les temps ont vu de ces malheureux dont parle Lucrèce (III, 51-54) :

Et quocumque tamen miseri venere, parentant,
Et nigras mactant pecudes, et manibu’ divis
Inferias mittunt ; multoque in rebus acerbis
Acrius advertunt animos ad relligionem.


Les macérations étaient en usage ; les prêtres de Cybèle se faisaient châtrer pour garder la continence. D’où vient que parmi tous ces martyrs de la superstition, l’antiquité ne compte pas un seul grand homme, un sage ? C’est que la crainte n’a jamais pu faire la vertu. Les grands hommes ont été les enthousiastes du bien moral. La sagesse était leur passion dominante ; ils étaient sages comme Alexandre était guerrier, comme Homère était poëte, et Apelles peintre, par une force et une nature supérieure ; et voilà peut-être tout ce qu’on doit entendre par le démon de Socrate.

Un jour deux citoyens d’Athènes, revenant de la chapelle de Mercure, aperçurent Socrate dans la place publique. L’un dit à l’autre : « N’est-ce pas là ce scélérat qui dit qu’on peut être vertueux sans aller tous les jours offrir des moutons et des oies ? — Oui, dit l’autre, c’est ce sage qui n’a point de religion ; c’est cet athée qui dit qu’il n’y a qu’un seul Dieu. » Socrate approcha d’eux avec son air simple, son démon, et son ironie, que Mme Dacier a si fort exaltée : « Mes amis, leur dit-il, un petit mot, je vous prie. Un homme qui prie la Divinité, qui l’adore, qui cherche à lui ressembler autant que le peut la faiblesse humaine, et qui fait tout le bien dont il est capable, comment nommeriez-vous

  1. Cet article se formait de la septième des Lettres philosophiques. Voyez Mélanges, année 1734. (B.)
  2. Suite des Mélanges (4e partie), 1756. (B.)