Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/431

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
421
SERPENT.

semble qu’elle devrait avoir dans ce moment des idées très-vives, et ressembler à la tête d’Orphée, qui faisait encore de la musique et qui chantait Eurydice quand on la jetait dans les eaux de l’Hèbre[1].

Si vous ne pensez pas quand vous n’avez plus de tête, d’où vient que votre cœur se meut et paraît sentir quand il est arraché ?

Vous sentez, dites-vous, parce que tous les nerfs ont leur origine dans le cerveau ; et cependant si on vous a trépané, et si on vous brûle le cerveau, vous ne sentez rien. Les gens qui savent les raisons de tout cela sont bien habiles.



SERPENT[2].


« Je certifie que j’ai tué en diverses fois plusieurs serpents, en mouillant un peu avec ma salive un bâton ou une pierre, et en donnant, sur le milieu du corps du serpent, un petit coup, qui pouvait à peine occasionner une petite contusion. 19 janvier 1772. Figuier, chirurgien. »

Ce chirurgien m’ayant donné ce certificat, deux témoins qui lui ont vu tuer ainsi des serpents m’ont attesté ce qu’ils avaient vu. Je voudrais le voir aussi : car j’ai avoué, dans plusieurs endroits de nos Questions[3], que j’avais pris pour mon patron saint Thomas Didyme, qui voulait toujours mettre le doigt dessus.

Il y a dix-huit cents ans que cette opinion s’est perpétuée chez les peuples ; et peut-être aurait-elle dix-huit mille ans d’antiquité, si la Genèse ne nous instruisait pas au juste de la date de notre inimitié avec le serpent. Et l’on peut dire que si Ève avait craché quand le serpent était à son oreille, elle eût épargné bien des maux au genre humain.

Lucrèce, au livre IV (vers 642-3) rapporte cette manière de tuer les serpents comme une chose très-connue :

Est utique ut serpens hominis contacta salivis
Disperit, ac sese mandendo conficit ipsa.


Crachez sur un serpent, sa force l’abandonne ;
Il se mange lui-même, il se dévore, il meurt.

  1. Virgile, Géorg., IV, 523-27.
  2. Questions sur l’Encyclopédie, neuvième partie, 1772. (B.)
  3. Voyez tome XVII, page 96.