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SCHISME.

produisent beaucoup de blé. Il est bien triste que la bénédiction du Ciel les ait rendus si malheureux. Quelques provinces ont prétendu qu’il fallait absolument mettre du levain dans leur pain ; mais la plus grande partie du royaume s’est obstinée à croire qu’il y a de certains jours de l’année où la pâte fermentée était mortelle[1].

Voilà une des premières origines du schisme ou de la déchirure de la Pologne ; la dispute a aigri le sang. D’autres causes s’y sont jointes.

Les uns se sont imaginé, dans les convulsions de cette maladie, que le Saint-Esprit procédait du Père et du Fils, et les autres ont crié qu’il ne procédait que du Père. Les deux partis, dont l’un s’appelle le parti romain, et l’autre le dissident, se sont regardés mutuellement comme des pestiférés ; mais, par un symptôme singulier de ce mal, les pestiférés dissidents ont voulu toujours s’approcher des catholiques, et les catholiques n’ont jamais voulu s’approcher d’eux.

Il n’y a point de maladie qui ne varie beaucoup, La diète, qu’on croit si salutaire, a été si pernicieuse à cette nation qu’au sortir d’une diète, au mois de juin 1768, les villes de Uman, de Zablotin, de Tetiou, de Zilianka, de Zafran, ont été détruites et inondées de sang, et que plus de deux cent mille malades ont péri misérablement.

D’un côté l’empire de Russie, et de l’autre l’empire de Turquie, ont envoyé cent mille chirurgiens pourvus de lancettes, de bistouris, et de tous les instruments propres à couper les membres gangrenés ; la maladie n’en a été que plus violente. Le transport au cerveau a été si furieux[2] qu’une quarantaine de malades se sont assemblés pour disséquer le roi, qui n’était nullement attaqué du mal, et dont la cervelle et toutes les parties nobles étaient très-saines, ainsi que nous l’avons observé à l’article Superstition. On croit que si on s’en rapportait à lui, il pourrait guérir la nation ; mais un des caractères de cette maladie si cruelle est de craindre la guérison, comme les enragés craignent l’eau.

Nous avons des savants qui prétendent que ce mal vient anciennement de la Palestine, et que les habitants de Jérusalem et de Samarie en furent longtemps attaqués. D’autres croient que le premier siége de cette peste fut l’Égypte, et que les chiens et

  1. Allusion à la querelle pour le pain ordinaire avec lequel les Russes communient, et le pain azyme des Polonais du rite de Rome. (Note de Voltaire.)
  2. Assassinat du roi de Pologne commis à Varsovie. (Id.)