Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/402

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
392
SAMMONOCODOM.

pourraient bien m’avoir trompé sur des maximes qui contredisent mes passions. Alors ils secouent le joug, parce qu’il a été imposé maladroitement ; ils ne croient plus en Dieu, parce qu’ils voient bien que Sammonocodom n’est pas dieu. J’en ai déjà averti mon cher lecteur en quelques endroits[1], lorsque j’étais à Siam ; et je l’ai conjuré de croire en Dieu malgré les talapoins.

Le révérend P. Tachard[2], qui s’était tant amusé[3] sur le vaisseau avec le jeune Destouches, garde-marine, et depuis auteur de l’opéra d’Issé[4], savait bien que ce que je dis est très-vrai.

D’UN FRÈRE CADET DU DIEU SAMMONOCODOM.

Voyez si j’ai eu tort de vous exhorter souvent à définir les termes, à éviter les équivoques. Un mot étranger, que vous traduisez très-mal par le mot Dieu, vous fait tomber mille fois dans des erreurs très-grossières. L’essence suprême, l’intelligence supréme, l’âme dela nature, le grand Être, l’éternel géomètre qui a tout arrangé avec ordre, poids et mesure, voilà Dieu ; mais lorsqu’on donne le même nom à Mercure, aux empereurs romains, à Priape, à la divinité des tétons, à la divinité des fesses, au dieu Pet, au dieu de la chaise percée, on ne s’entend

  1. Voyez tome XVII, page 476 ; tome XIX, page 206 ; et dans les Mélanges, année 1761, la Lettre de Charles Gouju ; année 1763, le chapitre x du Traité sur la Tolérance ; année 1767, la première des Homélies (sur l’athéisme) ; année 1768, le dialogue intitulé : Un Mandarin et un Jésuite.
  2. Guy Tachard, missionnaire et jésuite, consacra la plus grande partie de sa vie à voyager. Il passa d’abord quatre années avec le maréchal d’Estrées dans les colonies de l’Amérique méridionale ; puis il accompagna, avec le titre de mathématicien du roi, le chevalier de Chaumont et l’abbé de Choisy, qui s’embarquèrent à bord de la frégate l’Oiseau, le 3 mars 1685, pour aller porter au roi de Siam les compliments et les présents de Louis XIV.

    Le garde-marine André-Cardinal Destouches, qui était du voyage, devint plus tard musicien d’instinct, sans connaître une seule note, et composa, sur des paroles de Lamotte, l’opéra d’Issé, représenté avec succès à Trianon le 17 décembre 1697.

    Le P. Tachard s’embarqua une seconde fois à Brest pour Siam, le 1er mars 1687, à bord du Gaillard, vaisseau de cinquante canons, commandé par le capitaine de Vaudricourt.

    Il mourut au Bengale dans un troisième voyage. Ses relations sont intéressantes, bien qu’elles ne soient pas exemptes d’erreurs. Ainsi Pierre Kolben, dans son État présent du cap de Bonne-Espérance (novembre 1719, in-folio), dit que les détails donnés par le P. Tachard sur les Hottentots sont de pures chimères.

    Le numéro 360 des Transactions philosophiques contient de curieuses observations du P. Tachard sur deux éclipses de la planète Jupiter. (E. B.)

  3. Voyez dans les Mélanges, année 1766, le dialogue intitulé André Destouches à Siam.
  4. Il en a fait la musique ; les paroles sont de Lamotte-Houdard.