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SAMMONOCODOM.

prêcher une morale relâchée, et voilà pourquoi les jésuites eux-mêmes ont eu des prédicateurs si austères.

Les règles que Sammonocodom donna aux talapoins ses disciples sont aussi sévères que celles de saint Basile et de saint Benoît.

« Fuyez les chants, les danses, les assemblées, tout ce qui peut amollir l’âme.

N’ayez ni or ni argent.

Ne parlez que de justice, et ne travaillez que pour elle.

Dormez peu, mangez peu, n’ayez qu’un habit.

Ne raillez jamais.

Méditez en secret, et réfléchissez souvent sur la fragilité des choses humaines. »

Par quelle fatalité, par quelle fureur est-il arrivé que dans tous les pays l’excellence d’une morale si sainte et si nécessaire a été toujours déshonorée par des contes extravagants, par des prodiges plus ridicules que toutes les fables des Métamorphoses ? Pourquoi n’y a-t-il pas une seule religion dont les préceptes ne soient d’un sage, et dont les dogmes ne soient d’un fou ? (On sent bien que j’excepte la nôtre, qui est en tout sens infiniment sage.)

N’est-ce point que les législateurs s’étant contentés de donner des préceptes raisonnables et utiles, les disciples des premiers disciples et les commentateurs ont voulu enchérir ? Ils ont dit : Nous ne serons pas assez respectés, si notre fondateur n’a pas eu quelque chose de surnaturel et de divin. Il faut absolument que notre Numa ait eu des rendez-vous avec la nymphe Égérie ; qu’une des cuisses de Pythagore ait été de pur or ; que la mère de Sammonocodom ait été vierge en accouchant de lui ; qu’il soit né sur une rose, et qu’il soit devenu dieu.

Les premiers Chaldéens ne nous ont transmis que des préceptes moraux très-honnêtes ; cela ne suffit pas : il est bien plus beau que ces préceptes aient été annoncés par un brochet qui sortait deux fois par jour du fond de l’Euphrate pour venir faire un sermon.

Ces malheureux disciples, ces détestables commentateurs, n’ont pas vu qu’ils pervertissaient le genre humain. Tous les gens raisonnables disent : Voilà des préceptes très-bons : j’en aurais bien dit autant ; mais voilà des doctrines impertinentes, absurdes, révoltantes, capables de décrier les meilleurs préceptes. Qu’arrive-t-il ? Ces gens raisonnables ont des passions tout comme les talapoins ; et plus ces passions sont fortes, plus ils s’enhardissent à dire tout haut : Mes talapoins m’ont trompé sur la doctrine ; ils