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RELIGION.

passe dans les enfants ; ils sont à peu près ce que sont les hommes ignorants. Ils ne sont frappés ni de la beauté ni de l’utilité de l’astre qui anime la nature, ni des secours que la lune nous prête, ni des variations régulières de son cours ; ils n’y pensent pas il y sont trop accoutumés. On n’adore, on n’invoque, on ne veut apaiser que ce qu’on craint ; tous les enfants voient le ciel avec indifférence ; mais que le tonnerre gronde, ils tremblent, ils vont se cacher. Les premiers hommes en ont sans doute agi de même. Il ne peut y avoir que des espèces de philosophes qui aient remarqué le cours des astres, les aient fait admirer, et les aient fait adorer ; mais des cultivateurs simples et sans aucune lumière n’en savaient pas assez pour embrasser une erreur si noble.

Un village se sera donc borné à dire : Il y a une puissance qui tonne, qui grêle sur nous, qui fait mourir nos enfants : apaisons-la ; mais comment l’apaiser ? Nous voyons que nous avons calmé par de petits présents la colère des gens irrités ; faisons donc de petits présents à cette puissance. Il faut bien aussi lui donner un nom. Le premier qui s’offre est celui de chef, de maître, de seigneur ; cette puissance est donc appelée monseigneur. C’est probablement la raison pour laquelle les Égyptiens appelèrent leur dieu Knef ; les Syriens, Adoni, les peuples voisins, Baal, ou Bel, ou Melch, ou Moloch ; les Scythes, Papée : tous mots qui signifient seigneur, maître.

C’est ainsi qu’on trouva presque toute l’Amérique partagée en une multitude de petites peuplades, qui toutes avaient leur dieu protecteur. Les Mexicains mêmes, et les Péruviens, qui étaient de grandes nations, n’avaient qu’un seul dieu : l’une adorait Manco Capak, l’autre le dieu de la guerre. Les Mexicains donnaient à leur dieu guerrier le nom de Vitzliputzli, comme les Hébreux avaient appelé leur Seigneur Sabaoth.

Ce n’est point par une raison supérieure et cultivée que tous les peuples ont ainsi commencé à reconnaître une seule divinité ; s’ils avaient été philosophes, ils auraient adoré le dieu de toute la nature, et non pas le dieu d’un village ; ils auraient examiné ces rapports infinis de tous les êtres, qui prouvent un être créateur et conservateur ; mais ils n’examinèrent rien, ils sentirent. C’est là le progrès de notre faible entendement ; chaque bourgade sentait sa faiblesse et le besoin qu’elle avait d’un fort protecteur. Elle imaginait cet être tutélaire et terrible résidant dans la forêt voisine, ou sur la montagne, ou dans une nuée. Elle n’en imaginait qu’un seul, parce que la bourgade n’avait qu’un chef à la guerre. Elle l’imaginait corporel, parce qu’il était impossible de