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RELIGION.

— Quoi ! ces misérables n’avaient pas même à vous reprocher de vous être écarté de leurs lois ?

— Non sans doute.

— Pourquoi donc vous ont-ils mis dans l’état où je vous vois ?

— Que voulez-vous que je vous dise ? ils étaient fort orgueilleux et intéressés. Ils virent que je les connaissais ; ils surent que je les faisais connaître aux citoyens ; ils étaient les plus forts ; ils m’ôtèrent la vie : et leurs semblables en feront toujours autant, s’ils le peuvent, à quiconque leur aura trop rendu justice.

— Mais, ne dîtes-vous, ne fîtes-vous rien qui pût leur servir de prétexte ?

— Tout sert de prétexte aux méchants.

— Ne leur dîtes-vous pas une fois que vous étiez venu apporter le glaive et non la paix ?

— C’est une erreur de copiste ; je leur dis que j’apportais la paix, et non le glaive. Je n’ai jamais rien écrit ; on a pu changer ce que j’avais dit sans mauvaise intention.

— Vous n’avez donc contribué en rien par vos discours, ou mal rendus, ou mal interprétés, à ces monceaux affreux d’ossements que j’ai vus sur ma route en venant vous consulter ?

— Je n’ai vu qu’avec horreur ceux qui se sont rendus coupables de tous ces meurtres.

— Et ces monuments de puissance et de richesse, d’orgueil et d’avarices, ces trésors, ces ornements, ces signes de grandeur, que j’ai vus accumulés sur la route en cherchant la sagesse, viennent-ils de vous ?

— Cela est impossible ; j’ai vécu, moi et les miens, dans la pauvreté et dans la bassesse : ma grandeur n’était que dans la vertu. »

J’étais près de le supplier de vouloir bien me dire au juste qui il était. Mon guide m’avertit de n’en rien faire. Il me dit que je n’étais pas fait pour comprendre ces mystères sublimes. Je le conjurai seulement de m’apprendre en quoi consistait la vraie religion.

« Ne vous l’ai-je pas déjà dit ? Aimez Dieu, et votre prochain comme vous-même.

— Quoi ! en aimant Dieu on pourrait manger gras le vendredi ?

— J’ai toujours mangé ce qu’on m’a donné : car j’étais trop pauvre pour donner à dîner à personne.

— En aimant Dieu, en étant juste, ne pourrait-on pas être assez prudent pour ne point confier toutes les aventures de sa vie à un inconnu ?