Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/351

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
341
RELIGION.

secte était une société d’amis, car leur principal dogme était l’amitié. Atticus, Lucrèce, Memmius, et quelques hommes de cette trempe, pouvaient vivre très-honnêtement ensemble, et cela se voit dans tous les pays. Philosophez tant qu’il vous plaira entre vous. Je crois entendre des amateurs qui se donnent un concert d’une musique savante et raffinée ; mais gardez-vous d’exécuter ce concert devant le vulgaire ignorant et brutal ; il pourrait vous casser vos instruments sur vos têtes. Si vous avez une bourgade à gouverner, il faut qu’elle ait une religion.

Je ne parle point ici de la nôtre ; elle est la seule bonne, la seule nécessaire, la seule prouvée, et la seconde révélée.

Aurait-il été possible à l’esprit humain, je ne dis pas d’admettre une religion qui approchât de la nôtre, mais qui fût moins mauvaise que toutes les autres religions de l’univers ensemble ? et quelle serait cette religion ?

Ne serait-ce point celle qui nous proposerait l’adoration de l’Être suprême, unique, infini, éternel, formateur du monde, qui le meut et le vivifie, cui nec simile nec secundum[1] ; celle qui nous réunirait à cet Être des êtres pour prix de nos vertus, et qui nous en séparerait pour le châtiment de nos crimes ?

Celle qui admettrait très-peu de dogmes inventés par la démence orgueilleuse, éternels sujets de dispute ; celle qui enseignerait une morale pure, sur laquelle on ne disputât jamais ?

Celle qui ne ferait point consister l’essence du culte dans de vaines cérémonies, comme de vous cracher dans la bouche, ou de vous ôter un bout de votre prépuce, ou de vous couper un testicule, attendu qu’on peut remplir tous les devoirs de la société avec deux testicules et un prépuce entier, et sans qu’on vous crache dans la bouche ?

Celle de servir son prochain pour l’amour de Dieu, au lieu de le persécuter, de l’égorger au nom de Dieu ; celle qui tolérerait toutes les autres, et qui, méritant ainsi la bienveillance de toutes, serait seule capable de faire du genre humain un peuple de frères ?

Celle qui aurait des cérémonies augustes dont le vulgaire serait frappé, sans avoir des mystères qui pourraient révolter les sages et irriter les incrédules ?

Celle qui offrirait aux hommes plus d’encouragement aux vertus sociales que d’expiations pour les perversités ?

Celle qui assurerait à ses ministres un revenu assez honorable pour les faire subsister avec décence, et ne leur laisserait jamais

  1. Horace, livre I, ode xii, v. 18.