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QUISQUIS. LANGLEVIEL.

très-bien composé. Il s’y distingua par quelques prix qu’il eut, et plus encore par de petites friponneries. M. Puech en était alors principal. C’était de son nom qu’étaient signées les petites marques de distinction qu’on donne aux écoliers, et qu’on appelle exemptions. M. Puech en avait signé à la fois plusieurs mains ; la feuille en contenait soixante-quatre ; le sieur Angliviel en vola quelques mains, et les vendit aux écoliers à deux ou trois sous la pièce. Ces mains de papier étant épuisées, et ce commerce étant très-lucratif, ledit sieur en vola d’autres, ou les acheta chez l’imprimeur. La signature de M. Puech y manquait ; ce ne fut pas un obstacle ; elle fut si parfaitement imitée que M. Puech lui-même y fut trompé, et le trafic alla son train. Cette adresse inspira de nouvelles idées audit Angliviel. Il se servit de cette signature pour avoir chez le nommé Portalier, pâtissier, de quoi déjeuner avec friandise durant un certain temps. Cela fut enfin découvert, et Angliviel, qui venait de finir sa rhétorique, fut chassé honteusement du collége, quoiqu’il dût y rester encore deux ans. C’était en 1744 ou 1745, je ne peux assigner l’époque précise. Alors Angliviel fit entendre à sa mère protestante que c’était parce qu’il avait paru faire sa première communion à la catholique, malgré lui, qu’on l’avait renvoyé. La mère, pénétrée d’un zèle pour le calvinisme que la persécution échauffait encore dans ce temps-là, lui fournit les moyens de s’expatrier et d’aller à Genève, où il pourrait devenir ministre du saint Évangile. Angliviel partit ; mais comme il se croyait déjà quelque chose, il s’imagina que le gouvernement avait les yeux ouverts sur lui, vu le lieu, l’objet et le genre de son éducation ; et conséquemment il prit le nom de La Beaumelle pour se dérober à des recherches qu’on n’avait pas envie de faire. À Genève, Angliviel se lia avec M. Baulacre, qui en était alors bibliothécaire. Mlle  Baulacre, sa nièce, avait une petite société de veillée dans la cour du collége. La Beaumelle y fut admis ; et dans une conversation de femmes, il eut de quoi savoir la chronique scandaleuse de Genève : c’était plus qu’il n’en fallait pour alimenter sa malignité naturelle ; mais il fallait, avant tout, se faire un nom. Voici comme il s’y prit. M. de La Visclède, secrétaire perpétuel de l’académie de Marseille, venait de faire une Ode sur la mort, qui avait été couronnée aux jeux floraux ; il ne s’était point fait connaître. La Beaumelle s’en procura une copie ; il la fit imprimer en placard et en in-8o, chez Duvillard, la dédia à M. Lullin, alors professeur d’histoire ecclésiastique, et jouit de la gloire d’être, à vingt-un ans environ, auteur d’une ode où il y avait de bonnes strophes. Cette célébrité lui plut ; mais il