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QUISQUIS. LANGLEVIEL.

qui donna la paix à ses ennemis étant victorieux ; le fondateur de l’École militaire, qui, à l’exemple de son aïeul, n’a jamais manqué de tenir son conseil ? Où est ce petit-fils automate de Sha-Abas ?

Qui ne voit la délicate allusion de ce brave homme, ainsi que la profonde science de ce grand écrivain ? Il croit que Sha-Abas était un Mogol, et c’était un Persan de la race des Sophi. Il appelle au hasard son petit-fils automate ; et ce petit-fils était Abas, second fils de Saïn-Mirza, qui remporta quatre victoires contre les Turcs, et qui fit ensuite la guerre aux Mogols.

C’est ainsi que ce pauvre homme a écrit tous ses libelles ; c’est ainsi qu’il fit le pitoyable roman de Madame de Maintenon, parlant d’ailleurs de tout à tort et à travers, avec une suffisance qui ne serait pas permise au plus savant homme de l’Europe.

De quelle indignation n’est-on pas saisi quand on voit un misérable échappé des Cévennes, élevé par charité, et souillé des actions les plus infâmes, oser parler ainsi des rois, s’emporter jusqu’à une licence si effrénée, abuser à ce point du mépris qu’on a pour lui, et de l’indulgence qu’on a eue de ne le condamner qu’à six mois de cachot !

On ne sait pas combien de telles horreurs font tort à la littérature. C’est là pourtant ce qui lui attire des entraves rigoureuses. Ce sont ces abominables libellistes, dignes de la potence, qui font qu’on est si difficile sur les bons livres.

Il vient de paraître un de ces ouvrages de ténèbres[1], où, depuis le monarque jusqu’au dernier citoyen, tout le monde est insulté avec fureur ; où la calomnie la plus atroce et la plus absurde distille un poison affreux sur tout ce qu’on respecte et qu’on aime. L’auteur s’est dérobé à l’exécration publique[2], mais La Beaumelle s’y est offert.

Puissent les jeunes fous qui seraient tentés de suivre de tels exemples, et qui, sans talents et sans science, ont la rage d’écrire, sentir à quoi une telle frénésie les expose ! On risque la corde si on est connu ; et si on ne l’est pas, on vit dans la fange et dans la crainte. La vie d’un forçat est préférable à celle d’un faiseur de libelles : car l’un peut avoir été condamné injustement aux galères, et l’autre les mérite.

  1. Le Gazetier cuirassé. (Note de Voltaire.)
  2. L’auteur du Gazetier cuirassé, ou Anecdotes scandaleuses de la cour de France, 1772, in-8o et in-12, est Théveneau de Morande, mort on 1792.