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MALADIE.



MALADIE, MÉDECINE[1].


Je suppose qu’une belle princesse, qui n’aura jamais entendu parler d’anatomie, soit malade pour avoir trop mangé, trop dansé, trop veillé, trop fait tout ce que font plusieurs princesses ; je suppose que son médecin lui dise : « Madame, pour que vous vous portiez bien, il faut que votre cerveau et votre cervelet distribuent une moelle allongée bien conditionnée dans l’épine de votre dos jusqu’au bout du croupion de Votre Altesse, et que cette moelle allongée aille animer également quinze paires de nerfs à droite, et quinze paires à gauche. Il faut que votre cœur se contracte et se dilate avec une force toujours égale, et que tout votre sang, qu’il envoie à coups de piston dans vos artères, circule dans toutes ces artères et dans toutes les veines environ six cents fois par jour.

« Ce sang, en circulant avec cette rapidité que n’a point le fleuve du Rhône, doit déposer sur son passage de quoi former et abreuver continuellement la lymphe, les urines, la bile, la liqueur spermatique de Votre Altesse, de quoi fournir à toutes ses sécrétions, de quoi arroser insensiblement votre peau douce, blanche et fraîche, qui sans cela serait d’un jaune grisâtre, sèche et ridée comme un vieux parchemin.

LA PRINCESSE.

Eh bien, monsieur, le roi vous paye pour me faire tout cela ; ne manquez pas de mettre toutes choses à leur place, et de me faire circuler mes liqueurs de façon que je sois contente. Je vous avertis que je ne veux jamais souffrir.

LE MÉDECIN.

Madame, adressez vos ordres à l’Auteur de la nature. Le seul pouvoir qui fait courir des milliards de planètes et de comètes autour des millions de soleils a dirigé la course de votre sang.

LA PRINCESSE.

Quoi ! vous êtes médecin, et vous ne pouvez rien me donner ?

LE MÉDECIN.

Non, madame, nous ne pouvons que vous ôter. On n’ajoute rien à la nature. Vos valets nettoient votre palais, mais l’architecte l’a bâti. Si Votre Altesse a mangé goulûment, je puis déterger ses entrailles avec de la casse, de la manne et des follicules de séné ;

  1. Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771. (B.)